« Lutte contre le Covid-19 : une analyse coût/bénéfice » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 7 Avril 2020, sur l’analyse coût/bénéfice de la lutte contre le Covid-19.

 

Lutte contre le Covid-19 : une analyse coût/bénéfice

 

Au-delà de l’effroi que suscite l’épidémie de Covid-19, elle pose une question aussi redoutable que délicate à l’économiste : jusqu’où doit-on accepter une sévère récession pour sauver le plus de vies possible ? Les termes du débat peuvent être présentés simplement, pour ne pas dire froidement, en prenant deux scénarios extrêmes.

Un premier scénario serait de ne rien faire et de laisser le virus se répandre dans la population. Le nombre de décès serait sans doute élevé : à titre d’exemple, si on applique l’étude de l’Imperial Collège de Londres sur la France, en l’absence de toute mesure contraignante, on pourrait atteindre 530 000 décès, ce qui reviendrait à doubler le nombre de décès annuels dans notre pays. Mais ce premier scénario permet de limiter, au moins à court terme, l’ampleur de la récession, dans la mesure où aucune restriction à l’activité économique n’est imposée.

Un second scénario, inverse du premier, consiste à mettre la quasi-totalité de l’activité économique à l’arrêt pour plusieurs mois, en imposant un confinement absolu. Plus personne ne sortirait, à l’exception des personnes nécessaires à la lutte contre le Covid-19. Il en résulterait une forte récession : l’offre diminuerait, faute de travailleurs et d’approvisionnement en matières premières ; la demande également, les individus ne pouvant plus sortir de chez eux. Cette diminution de la production aurait un coût économique mais aussi un coût social, en particulier dans les pays pauvres ne disposant pas d’une protection sociale permettant aux individus de survivre en cas de choc.

Entre ces deux scénarios extrêmes, il existe de nombreux scénarios de politique publique, plus ou moins contraignants, chacun ayant un ratio coût/bénéfice différent : plus on veut limiter le nombre de décès, plus on doit accepter de restrictions, ce qui a un impact négatif sur l’activité économique.

Dans une étude publiée récemment, trois économistes ont simulé plusieurs scénarios, sur la base d’un modèle de diffusion de l’épidémie aux Etats-Unis et de son impact macroéconomique. Si le gouvernement opte pour une politique de « laisser faire » mais que les individus adoptent par eux-mêmes une attitude prudente – limitation des sorties, etc. – le virus affectera 54 % de la population américaine. En prenant un taux de mortalité de 0,5 %, les auteurs aboutissent à un scénario de… 880 000 décès. Du côté de l’activité macro-économique en revanche, l’impact sera limité à une baisse de la consommation de 7 % la première année.

A l’inverse, une politique de confinement entraînera une récession plus sévère, avec une baisse de la consommation de 22 %. Mais elle permettra de sauver 500 000 vies par rapport à une politique de « laisser faire ». En fixant un « prix de la vie » égal à 9,3 millions de dollars – soit le prix retenu par l’agence américaine de protection de l’environnement –, les trois auteurs aboutissent à un gain pour la collectivité de 4 750 milliards de dollars. C’est presque un quart du PIB des Etats-Unis et surtout beaucoup plus que le coût économique d’une récession. Bref, lutter contre la diffusion du virus par un confinement optimal n’est pas seulement une question morale. Cela semble aussi un bon calcul économique.

Emmanuel Combe est professeur à Skema Business School et vice-président de l’Autorité de la concurrence.

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