« Dette publique : une seule issue mais quand ? » (Les Échos)

0

Emmanuel Combe a publié une tribune dans Les Échos le 10 Avril 2024 sur la dette publique.

Dette publique : une seule issue mais quand ? 

La publication par l’INSEE d’un déficit public à 5,5% en 2023 a ravivé le débat sur la dette publique dans notre pays, qui dépasse aujourd’hui les 110%. Le débat porte essentiellement sur la nécessité de la réduire et, dans l’affirmative, sur les moyens d’y parvenir. Un autre sujet, plus analytique, est moins abordé : quelles sont les causes profondes d’une telle dérive des finances publiques depuis 50 ans dans notre pays ? Cette analyse nous paraît utile dans la mesure où elle interroge sur la possibilité même d’enrayer la spirale de la dette publique.

Certes, la croissance de la dette s’explique en partie par des chocs exogènes comme la crise Covid, qui a justifié un fort soutien public pour éviter l’effondrement économique. Mais la spirale de la dette a aussi des origines purement institutionnelles et politiques, comme le soulignent depuis longtemps les travaux académiques en termes d’économie politique de la dette (Nordhaus, Buchanan, Alesina,Perotti, Drazen, etc).

L’idée de départ est de considérer qu’en démocratie, les choix de dépense publique ne sont pas neutres : ils sont ancrés dans un jeu politique. Ce jeu est marqué par l’alternance des partis au pouvoir, dont les électeurs n’ont pas les mêmes préférences : par exemple, les électeurs de gauche ont une préférence pour la dépense publique, tandis que les électeurs de droite plébiscitent plutôt les baisses d’impôts. De plus, les décideurs politiques orientent leurs choix en fonction de ceux qui votent aujourd’hui, ce qui conduit par exemple à sous-représenter la voix des jeunes et des générations à venir. Enfin, les décideurs politiques ont le souhait naturel d’être réélu. 

Sur la base de ces principes, il en résulte plusieurs conséquences, qui vont toutes dans le sens d’un laxisme budgétaire. En premier lieu, lorsque l’alternance politique est fréquente, chaque parti au pouvoir a intérêt à cranter des dépenses que l’adversaire n’aurait pas engager et sur lesquelles il ne pourra revenir demain lorsqu’il sera aux commandes. Plus les intérêts politiques sont polarisés, plus la tentation de la dépense publique financée par la dette est forte : elle sera même une contrainte qui limitera les marges de manœuvre du successeur. En second lieu, les gouvernements de coalition ne sont pas propices à la rigueur budgétaire : comme ils rassemblent des intérêts électoraux très variés, il n’y a pas de consensus sur les mesures à prendre pour contenir les déficits et l’endettement public s’impose alors comme la solution de compromis. En troisième lieu, afin d’être réélu, l’équipe en place a intérêt à satisfaire un grand nombre d’électeurs par de la dépense publique avant les élections, les citoyens n’anticipant pas les hausses d’impôt futures. Bref, la structure même du jeu politique démocratique conduit assez naturellement à une spirale de la dette publique. Elle a même peu de chances de s’arrêter, puisque chaque camp se livre à une « guerre d’usure ». Dans une guerre d’usure, il est rationnel d’attendre, en espérant que  l’adversaire politique aura la charge de réaliser l’ajustement budgétaire. Plus le jeu politique est divisé, plus il est rationnel d’attendre en continuant à s’endetter.

On en déduit que la probabilité qu’un décideur politique prenne la responsabilité de s’attaquer à la spirale de la dette est faible. La solution consistant à confier la gestion de la dépense publique à une institution indépendante est exclue : personne ne voudra confier à des experts une matière qui engage des choix collectifs. De même, l’appartenance de la France à l’euro n’a jamais été vraiment disciplinante : bien au contraire, elle a dilué les mécanismes de rappel qui sanctionnaient auparavant les économies ouvertes.

L’issue la plus probable est donc, un jour, une crise de la dette publique. Elle sera même plutôt salutaire pour les décideurs politiques, qui pourront en faire porter l’entière responsabilité aux marchés financiers. Et ce d’autant qu’une partie de notre dette est détenue par des prêteurs étrangers. La seule vraie question est de savoir quand cette crise arrivera. Et cela, personne ne le sait, pas même les économistes.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici