« Dette publique : arrête-moi si tu peux » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié dans L’Opinion le 15 Avril 2024 une chronique sur la dette publique.

 

Dette publique : arrête-moi si tu peux

Alors que le gouvernement vient de réviser à la hausse sa prévision de déficit public pour 2024, tous les regards se portent aujourd’hui sur les mesures qui vont être prises pour enrayer la dérive de nos finances publiques. Mais est-il envisageable que notre pays s’engage durablement et de lui-même sur une trajectoire vertueuse ?

L’expérience historique récente nous fournit une première réponse : depuis 1974, le ratio dette/PIB n’a cessé d’augmenter tendanciellement, passant de 14% à 112% aujourd’hui. Certes, il y a eu en 50 ans des chocs et des crises qui ont justifié des injections de dépenses publiques mais la tendance de long terme a toujours été haussière.

Une seconde réponse tout aussi pessimiste nous est également apportée par l’économie politique de la dette : la polarisation de notre vie politique entre gauche et droite, la volonté légitime d’être réélu, la formation de gouvernements de coalition sont autant de facteurs qui incitent les décideurs en place à faire du déficit public. En effet, pour le décideur politique, la dette est plus une solution qu’un problème : elle permet de satisfaire les intérêts électoraux de court terme, notamment à l’approche des échéances électorales ; elle évite d’avoir à faire des choix douloureux entre des intérêts divergents ; elle permet de réduire les marges de manoeuvre des adversaires politiques lorsqu’ils arrivent au pouvoir, en engageant des dépenses irréversibles.

Bref, il n’existe pas de véritable force de rappel interne, qui limite l’incitation au déficit public. Existe-t-il toutefois des forces de rappel externes ?

Une première force de rappel consisterait à déléguer la conduite de la politique budgétaire à une institution indépendante, à l’image de la politique monétaire, ou à se fixer à minima des règles budgétaires contraignantes. Une telle solution paraît peu envisageable : les choix budgétaires étant toujours des choix politiques, les décideurs ne sont pas prêts à un tel sacrifice.

Une seconde force de rappel serait de miser sur les engagements européens du Pacte de stabilité. A nouveau, cette force de rappel n’a jamais vraiment joué jusqu’ici pour un pays comme la France, qui a toujours bénéficié d’une grande indulgence de ses pairs.

Une troisième force de rappel consisterait à miser sur le rôle disciplinant des agences de notation, dont les annonces sont médiatisées et qui ont le statut d’experts auprès du grand public. Une étude académique récente sur 27 pays d’Europe au cours de la période 2000/2017 montre que la dégradation de la note d’un pays a un impact non seulement sur les taux d’intérêt mais aussi sur le soutien électoral de la population au gouvernement en place : en moyenne, le taux de soutien de la population diminue de 3,2% dans les 30 jours qui suivent un abaissement de la note sur la dette souveraine. Cette diminution du soutien a deux origines : les citoyens tiennent le gouvernement en place pour responsable de la situation économique du pays (« vote sociotropique ») ; ceux qui détiennent des actifs financiers craignent que leur richesse ne diminue (« vote égocentrique »), suite à la dégradation du pays. Les agences de notation joueraient donc un rôle disciplinant sur les gouvernements et leur tentation de faire du déficit public. Mais ne soyons pas trop optimiste car ce rôle est asymétrique : l’étude montre aussi que, lorsqu’une agence de notation augmente la note d’un pays, le gouvernement en place n’en retire … aucun gain électoral !

 

 

 

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