« Covid 19 : surmonter le nationalisme du vaccin » (L’Opinion)

Emmanuel Combe a publié le 25 Août 2020 une chronique dans L’Opinion sur les stratégies non coopératives en matière d’achat de vaccin.

 

Covid 19 : surmonter le nationalisme du vaccin

« Nous devons éviter de tomber dans le nationalisme du vaccin » : telle est l’inquiétude que le secrétaire général de l’OMS, relayée par le pape François, vient d’exprimer face à la multiplication des initiatives individuelles pour sécuriser l’accès à un traitement contre le Covid-19. En effet, l’Europe comme les Etats-Unis ont conclu ces dernières semaines plusieurs accords avec des laboratoires pour s’assurer de la fourniture prioritaire de doses. A vrai dire, rien de surprenant à cela : dès lors que les pays anticipent que les capacités de production seront insuffisantes, chacun joue sa propre partition et fait monter les enchères. Le résultat est que les moins bien lotis – à savoir les pays en développement- feront, comme souvent, les frais de cette compétition : ils seront servis les derniers.

Est-il possible de surmonter cet égoïsme rationnel ? On serait spontanément tenté d’en douter : en économie, la coopération relève plus de l’exploit que de la règle.

Pourtant, un espoir existe avec le lancement par l’OMS de l’initiative Covax, qui rassemble déjà 172 pays : elle  vise à financer le développement d’un portefeuille de vaccins et à garantir, une fois le vaccin trouvé, un accès équitable au traitement au niveau mondial. Son ambition est grande : fournir pas moins de 2 milliards de doses d’ici la fin de l’année 2021. Cette initiative présente trois avantages.

En premier lieu, en investissant sur plusieurs projets, elle permet de diversifier le risque et donc d’augmenter la probabilité de miser sur le bon vaccin. A l’heure actuelle, ce sont déjà 9 candidats vaccins qui ont été retenus.

En second lieu, en rassemblant de nombreux pays, Covax fait bénéficier ses membres, et tout particulièrement les plus pauvres et les plus petits, de son pouvoir de négociation avec les laboratoires. Dans un cas limite, si tous les pays adhéraient à Covax, ce dernier se retrouverait en monopsone. Un monopsone utilise sa puissance d’achat pour faire …. baisser les prix. Une situation exactement inverse de celle engendrée par la compétition entre pays pour l’accès au vaccin.

En troisième lieu, Covax vise à inciter les laboratoires à investir dans des capacités de production, ce qui n’a rien d’évident. En effet, les laboratoires peuvent craindre un comportement opportuniste de la part des pays : ces derniers vont promettre d’acheter des vaccins à un certain prix puis, une fois que les laboratoires  auront investi, ils renégocieront à la baisse. Anticipant ce comportement, les laboratoires préfèreront sous-investir. Une promesse réversible est une promesse qui n’est pas crédible. Pour surmonter cette difficulté,  une solution consiste à s’engager à l’avance sur l’achat d’un certain volume à un prix pré-déterminé et à provisionner les financements auprès d’une organisation indépendante. Ce mécanisme, appelé « garantie de marché » (Advance Market Commitment) vient d’être repris par l’alliance du Vaccin (GAVI), partenariat public-privé visant à élargir l’accès aux vaccins dans les pays en développement et auquel participe l’OMS.

Ces initiatives coopératives parviendront-elles à surmonter la tentation naturelle du chacun pour soi ? Réponse dans quelques semaines pour Covax : les pays ont en effet jusqu’au 31 août pour soumettre leur manifestation d’intérêt. Ils devront ensuite mettre la main au portefeuille. Pour l’heure, l’OMS a reçu 2,5 milliards de dollars, alors que la somme totale est estimée à 30 milliards de dollars. Soyons optimistes, même si ce n’est pas une attitude très économique.

 Emmanuel Combe est professeur à Skema business school et vice-président de l’Autorité de la concurrence.

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