« Inflation : la faute aux profits ? » (Les Echos)

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Emmanuel Combe a publié une tribune sur l’inflation dans Les Echos le 5 Mai 2023

Inflation : la faute aux profits ?

Les résultats des géants du CAC 40 se succèdent et se ressemblent : les profits au titre de l’année 2022 ont atteint des niveaux records, à l’image de ceux de STM et Stellantis. Dans un contexte européen d’inflation persistante, il n’en fallait pas plus pour ranimer le débat sur les « profits excessifs » : les entreprises n’ont-elles pas augmenté leurs prix en aval, au-delà des hausses de coûts subies en amont, que ce soit dans les matières premières, les produits intermédiaires ou les salaires ? Comme le relèvent les récentes analyses de la BCE, la hausse des profits unitaires explique les deux tiers de l’inflation en 2022, contre un tiers en moyenne au cours de la période 1999/2022. Pour autant, avant de parler de profits excessifs, il est utile de bien comprendre comment se forme la mécanique des prix et des profits.

En premier lieu, il existe un décalage dans le temps entre les hausses de coût en amont et leur transmission en aval dans les prix à la consommation : les entreprises n’ont pas répercuté immédiatement les hausses de coût qu’elles ont connu depuis le Covid. Le mouvement de hausse des prix actuellement observé s’explique en partie par un effet de rattrapage. Ce décalage dans le temps a plusieurs causes : il est difficile d’ajuster instantanément tous les contrats ; les entreprises ont pu adopter un comportement attentiste, de peur de perdre des clients si elles augmentaient leurs prix avant leurs concurrents ; les fortes marges dans certains secteurs ont permis d’absorber momentanément la hausse des coûts comme l’a récemment montré une étude du FMI ; enfin, certaines entreprises ont choisi de lisser les hausses de prix dans le temps, afin de ne pas porter atteinte à leur réputation.

En second lieu, la fixation d’un prix ne dépend pas seulement des coûts mais aussi du niveau de la demande. Lorsque la demande est supérieure à l’offre, les prix augmentent, surtout s’il y a de fortes contraintes de capacité. Le cas du transport aérien est à cet égard révélateur : la forte hausse du prix du billet en 2022 s’explique non seulement par la hausse du prix du kérozène mais aussi par la forte demande de voyages, dans un contexte de pénurie de main d’œuvre qui a conduit à clouer des avions au sol. A titre d’exemple, Lufthansa a dû supprimer 34 000 vols durant l’été 2022, faute de personnel navigant suffisant.  Cette hausse du prix  du billet a certes gonflé les profits unitaires mais se révèle plutôt « salutaire » à long terme : elle signale une situation de rareté, ce qui devrait inciter à embaucher des personnels navigants pour faire face à la demande.

En troisième lieu, une hausse de prix peut avoir un effet démultiplicateur sur les profits, lorsque l’activité se caractérise par de forts coûts fixes par rapport aux coûts variables. A cet égard, il n’est guère surprenant que les profits aient explosé dans des industries comme l’automobile, le transport maritime ou les semi-conducteurs. Cette situation est toutefois réversible : une atonie de la demande fera chuter les recettes, tandis que la base de coût fixe restera la même ; il en résultera une forte chute des profits, qui sera parfois accentuée par l’apparition de surcapacités et une guerre des prix.

En dernier lieu, les hausses de prix s’expliquent par le fait, qu’au sein de chaque secteur, existent des entreprises leaders qui disposent d’un véritable « pricing power », qui leur permet d’augmenter les prix sans craindre de perdre leurs clients. Toute la question est de savoir d’où vient ce pouvoir de marché. Lorsqu’il résulte d’une montée en gamme des produits ou du lancement d’innovations, il est parfaitement légitime. A l’inverse, lorsqu’il est la conséquence d’un manque de concurrence, il peut être problématique. Les pouvoirs publics disposent alors de plusieurs leviers d’action. Ils peuvent favoriser l’entrée de nouveaux acteurs, en abaissant les barrières réglementaires. Ils peuvent également favoriser la mobilité des consommateurs, notamment en renforçant l’information sur les prix. Ils peuvent limiter la concentration des marchés, par le biais du contrôle des fusions-acquisitions. Ils peuvent enfin renforcer leur lutte contre les pratiques anticoncurrentielles de cartel et d’abus de position dominante, qui font monter artificiellement les prix et les profits.

 

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