« Innovation : sortir l’Europe du piège de la moyenne technologie » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié une chronique dans L’Opinion le 30 Avril 2024.

Innovation : sortir l’Europe du « piège de la moyenne technologie »

 

A l’occasion de son discours sur l’Europe, le Président de la République a insisté sur sa volonté de « bâtir une Europe de la prospérité », en transformant notamment notre continent en leader mondial de l’IA et en portant notre effort de R&D à 3% du PIB d’ici 2030. Si on ne peut que louer de telles intentions, force est de constater que la marche à franchir paraît très haute, comme vient de le rappeler un récent rapport sur la politique d’innovation en Europe, remis par plusieurs économistes, dont Jean Tirole.

Le rapport rappelle que la dépense en R&D en Europe stagne depuis 20 ans à 1,9% du PIB, contre 3% aux Etats-Unis. Rattraper l’écart avec les Etats-Unis d’ici 2030 impliquerait donc d’augmenter notre effort de 50%, ce qui semble très difficile. Et ce d’autant que ce déficit de dépense en R&D est le fait du secteur privé et non du secteur public. En effet, les investissements privés en R&D ne représentent dans l’Union Européenne qu’1,2 % du PIB, contre 2,3% aux Etats-Unis, soit moitié moins.

Une telle insuffisance de l’effort privé de R&D s’explique par la spécialisation sectorielle de l’innovation en Europe. Le rapport montre en effet que notre R&D reste concentré sur des secteurs de « moyenne technologie », comme l’industrie automobile ou l’électronique grand public. En termes de dépenses en R&D, nos 3 plus grandes entreprises en 2003 étaient Mercedes, Siemens et Volkswagen. 20 ans plus tard, les classement est sensiblement le même : Volkswagen, Mercedes et Bosch. Les innovations visent bien souvent à améliorer des technologies existantes, plutôt qu’à lancer des ruptures technologiques. Cette forte spécialisation dans l’automobile est d’autant plus inquiétante, que, malgré ses investissements massifs dans la R&D, l’industrie automobile de l’UE risque d’être supplantée par des disrupteurs américains et chinois, qui dominent les technologies électriques et de conduite autonome.

Le contraste est saisissant avec les Etats-Unis.  En 2003, les 3 leaders américains en R&D étaient Ford, Pfizer et General Motors. 20 ans plus tard, le ranking a complètement changé : Alphabet, Meta et Microsoft dominent le classement. La principale raison pour laquelle la R&D privée américaine est deux fois supérieure à celle de l’Europe réside donc dans  le poids beaucoup plus important des industries de haute technologie.

Si l’Europe veut  sortir du « piège de la moyenne technologie » (pour reprendre les termes même du rapport), une réorientation drastique de l’innovation européenne vers les industries de haute technologie est donc impérative. Comment faire ? Les auteurs mettent l’accent sur le rôle décisif de la gouvernance de la politique européenne d’innovation. En particulier, il nous faut davantage orienter l’effort de R&D vers la recherche de pointe, qui a le potentiel de créer de nouveaux marchés, même si elle est éloignée des applications commerciales. De même, l’Europe soutient surtout des petites et moyennes entreprises (PME), alors qu’il faudrait cibler surtout les nouveaux entrants, porteurs de disruption. Enfin, notre politique d’innovation, dirigée aujourd’hui par des fonctionnaires, devrait faire davantage de place aux scientifiques de haut niveau dans la direction des programmes.  Autant dire que la tâche s’annonce ardue.

 

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