Emmanuel Combe a publié une chronique dans L’Opinion sur le climat et le signal prix, le 27 Septembre 2022.
Climat : la longue marche vers le signal prix
A l’heure de l’urgence climatique, les initiatives se multiplient dans le monde pour mettre en place des mécanismes incitatifs, afin de réduire les émissions de CO2. Ces mécanismes reposent sur des outils qui visent à renchérir le prix des énergies polluantes pour inciter les acteurs économiques à modifier leur comportement dans un sens vertueux. Ces outils s’incarnent pour l’essentiel dans les taxes environnementales et les marchés de quotas d’émission. Dans une étude récente, le think tank I4CE dresse un état des lieux de cette longue marche des pays vers le recours à des instruments économiques.
Du côté des bonnes nouvelles, on notera tout d’abord qu’en 2022 pas moins de 68 pays dans le monde sont dotés de mécanismes de prix du carbone. En particulier, une partie de la Chine est aujourd’hui couverte par un marché du carbone, à l’image des régions de Pékin et Shanghai. En second lieu, certains pays comme l’Uruguay ou la Suède ont développé une approche très ambitieuse, avec un prix du carbone qui dépasse 120$ la tonne. Un tel niveau de prix envoie un signal très clair à tous les utilisateurs d’énergies fossiles : «changez de technologie sinon cela vous coûtera très cher ». Il correspond aux estimations hautes des économistes sur le « bon » niveau d’une taxe carbone : à titre d’exemple, la Commission Stern (2017) fixait un prix oscillant entre 50 et 100$ la tonne à l’horizon 2030. En troisième lieu, certains Etats comme la Corée du Sud ou la Californie appliquent le signal prix à la majorité de leurs secteurs d’activité : les exemptions sont rares, ce qui renforce l’acceptabilité de telles politiques.
Du côté des mauvaises nouvelles, on relèvera tout d’abord que les instruments économiques ne couvent que 20% des émissions mondiales de CO2. Ceci provient du fait que tous les pays ne disposent pas encore de ces outils et que ces derniers ne couvrent pas tous les secteurs d’activité. En effet, les exemptions sectorielles restent fréquentes : en particulier, le secteur des transports internationaux et de l’agriculture font l’objet d’une faible taxation ou de quotas d’émission peu contraignants. En second lieu, les niveaux de taxation sont très disparates selon les pays, oscillant entre 134$ la tonne en Uruguay et … 1 centime de $ en Basse Californie (Mexique). En moyenne, le prix de la tonne dans le monde reste assez faible et peu incitatif : de l’ordre de 10$ pour 60% des émissions.
Faut-il pour autant désespérer ? Une lueur d’espoir réside dans la mise en place prochaine d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union Européenne. En effet, compte tenu du poids de l’Europe dans le commerce mondial, il est probable que nos partenaires commerciaux deviendront de plus en plus ambitieux dans la lutte contre la pollution, afin d’échapper à une taxation de leurs exportations. On voit ici que l’Europe, par son comportement exemplaire mais pas naïf, pourrait bien exercer un effet d’entrainement positif sur de nombreux pays. C’est exactement le principe des « clubs climat », exposé par le prix Nobel William Nordhaus en 2015 : inciter progressivement une majorité de pays à rejoindre le club des vertueux, sous peine d’être taxés.