« Le protectionnisme nuit à la lutte contre le Covid-19 » (L’Opinion)

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FILE PHOTO: U.S. President Donald Trump meets with China's President Xi Jinping at the start of their bilateral meeting at the G20 leaders summit in Osaka, Japan, June 29, 2019. REUTERS/Kevin Lamarque/File Photo
Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 16 Avril 2020, sur le protectionnisme à l’heure de la lutte contre la pandémie de Covid-19.

 

Le protectionnisme nuit à la lutte contre le Covid-19

 

A l’heure où la lutte contre la diffusion du Covid-19 suppose d’avoir accès à du matériel médical et de prévention, force est de constater que le protectionnisme ne facilite pas toujours la tâche des soignants et des populations.

Prenons l’exemple d’un produit aussi banal qu’essentiel aujourd’hui : le savon. Depuis le début de l’épidémie, l’OMS recommande à l’ensemble de la planète de se laver les mains plusieurs fois par jour. Le problème est que 155 pays dans le monde appliquent des droits de douane sur les importations de savon, comme le souligne le récent rapport du think tank Global Trade Alert. La moitié le taxe même à hauteur de 15 % ou plus, sans compter les restrictions quantitatives à l’import.

L’effet de cette taxe à l’importation est de renchérir le prix du savon pour les hôpitaux et l’ensemble de la population. Se laver les mains plusieurs fois par jour peut devenir inaccessible, notamment pour les plus démunis dans les pays pauvres. Comme l’écrit Simon Evenett, professeur à l’Université de Saint-Gall, « une taxe sur le savon est une taxe sur l’hygiène ». Il y a donc une certaine contradiction entre la volonté des gouvernements de lutter contre l’épidémie et une politique commerciale qui taxe le savon.

Capacités de production. On nous objectera que le but d’une taxe à l’importation est de stimuler la production nationale : suite à l’augmentation du prix du savon, les producteurs domestiques seront incités à en produire plus. Cet argument se heurte toutefois à deux limites. La première est que l’urgence impose d’avoir accès très vite et à bon marché à du savon : augmenter les capacités de production prend du temps, tandis que fabriquer chez soi, plus cher et sans économies d’échelle, ne règle pas la question du prix élevé.

La seconde est qu’il est peu judicieux de produire du savon, alors qu’il n’y a pas de risque de dépendance en matière d’approvisionnement : il existe dans le monde de nombreux pays qui fabriquent déjà du savon. En ce sens, le savon n’est pas une « industrie stratégique », qui justifie que l’on puisse se protéger pour assurer sa sécurité sanitaire. Il est donc urgent de lever les restrictions à l’importation de savon dans le monde, comme le préconise le Global Trade Alert.

La taxation des importations ne se limite pas au seul savon et touche parfois une large gamme de produits essentiels à la lutte contre le Covid. Les Etats-Unis sont en train d’en faire la triste expérience. Sous l’impulsion de Trump, ils se sont lancés depuis 2018 dans une escalade protectionniste vis-à-vis de la Chine, en taxant 360 milliards d’importations. Parmi celles-ci figurent de nombreux produits médicaux, comme le souligne une récente étude du Peterson Institute : des blouses d’hôpital mais aussi des équipements tels que des moniteurs pour patients.

Les Chinois, privés depuis deux ans d’accès au marché américain ont trouvé d’autres débouchés. L’épidémie de Covid-19 change aujourd’hui radicalement la donne : les Etats-Unis veulent importer plus et Trump a discrètement réduit le 12 mars les droits de douane sur certains produits médicaux en provenance de Chine.

Mais c’est oublier que le protectionnisme est une politique non coopérative, qui mine la confiance de ses partenaires à long terme, alimente les représailles et se paye un jour au prix fort. Les Chinois ne l’ont visiblement pas oublié.

Emmanuel Combe est professeur à Skema Business School et vice-président de l’Autorité de la concurrence.

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