« Covid-19 : adapter la politique de concurrence à l’urgence » (Les Echos)

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Emmanuel Combe a publié une tribune dans Les Echos, le 17 Avril 2020, sur la politique de la concurrence à l’heure de la crise sanitaire du Covid-19.

 

Covid-19 : adapter la politique de concurrence à l’urgence

 

Face à l’épidémie de Covid-19, de nombreuses autorités de concurrence dans le monde ont pris la parole pour envoyer un message clair à l’attention de tous les acteurs économiques : la politique de concurrence est résolument aux côtés des entreprises engagées directement dans la lutte contre le virus, dans le cadre du droit existant. Tel est en particulier le message délivré dès le début de la crise par le Réseau européen de la concurrence, qui regroupe l’ensemble des autorités de l’Union européenne.

En premier lieu, de nombreux producteurs sont mobilisés dans la fabrication de produits essentiels, tels que des masques, des tests de dépistage ou des respirateurs. Il peut être utile, dans un souci d’efficacité et de réactivité, que ces entreprises, fussent-elles concurrentes, puissent coordonner leurs actions, c’est-à-dire former… une entente.

De même, dans une situation où la population craint des risques de pénurie alimentaire, il est essentiel que tous les acteurs de la chaîne, du producteur au distributeur, puissent assurer l’approvisionnement continu de tous, par exemple en s’échangeant des données sur l’état des stocks, en se coordonnant en aval sur l’ouverture des magasins ou en partageant certaines infrastructures logistiques. Dans ces deux cas, le message délivré est clair : une entente temporaire entre concurrents peut, dans certaines circonstances très précises, être tolérée si elle est nécessaire pour atteindre l’objectif de santé ou de sécurité publique. Elle doit également procurer un bénéfice aux usagers et sa durée ne doit pas excéder celle de l’objectif à atteindre.

En second lieu, de nombreuses entreprises se sont engagées dans une véritable course contre la montre pour mettre au point un vaccin. A cette occasion, certaines entreprises peuvent vouloir coopérer en R & D. Sur ce point, le droit de la concurrence offre des marges de liberté, en particulier au niveau européen au travers du paragraphe 3 de l’article 101 TFUE : une entente anticoncurrentielle peut être sauvée si elle apporte une contribution suffisante au « progrès économique » qui vient contrebalancer l’atteinte à la concurrence. A nouveau, l’entente en R & D doit être nécessaire pour atteindre l’objectif visé et être limitée au strict nécessaire.

En troisième lieu, la crise économique va sans doute nécessiter que les Etats membres interviennent en urgence, en injectant des fonds publics dans des entreprises qui se trouveraient à court de liquidités. Or il existe dans l’Union européenne un contrôle des aides d’Etat, visant à s’assurer que ces aides ne favorisent pas une entreprise au détriment des autres. Face à l’urgence de la situation, la Commission européenne a annoncé, comme elle l’avait déjà fait lors de la crise de 2008, qu’elle assouplissait à titre temporaire le régime des aides d’Etat. Par exemple, les Etats membres pourront aider les entreprises de secteurs particulièrement touchés par l’épidémie, tels que le tourisme ou le commerce de détail.

Ces exemples de pragmatisme ne signifient pas pour autant que l’action des autorités de concurrence doive être mise en sommeil. Bien au contraire. Les périodes de crise peuvent être propices à la mise en oeuvre de pratiques anticoncurrentielles injustifiables.

D’une part, face à la chute de la demande sur la plupart des marchés, les entreprises peuvent être tentées de former une entente défensive, dans le seul but d’éviter une baisse des prix. D’autre part, dans une situation de pénurie sur certains produits essentiels, une entreprise en position dominante peut être tentée d’abuser de la situation, en pratiquant par exemple un « prix excessif » ou en imposant une exclusivité.

A titre d’exemple, l’Autorité française a eu récemment à traiter d’un signalement d’une possible pratique d’accord exclusif d’importation de masques en Guyane, Guadeloupe et Martinique. Les autorités de concurrence doivent donc rester attentives. En période de crise, le pragmatisme n’exclut pas la vigilance.

Emmanuel Combe est professeur à Skema Business School et vice-président de l’Autorité de la concurrence.

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