« Anti-dumping : à consommer avec modération » (Les Échos)

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Emmanuel Combe a publié dans Les Échos le 23 Janvier 2024 une tribune sur l’anti-dumping.

Anti-Dumping : à consommer avec modération

La Chine vient d’annoncer qu’elle ouvrait une enquête anti-dumping à l’encontre des « brandys européens » ; cette enquête vient sans doute en représailles de celle ouverte quelques mois plus tôt par l’Europe à l’encontre des voitures électriques chinoises, accusées d’être subventionnées par Pékin. Si la Chine démontre demain qu’il y a eu dumping et que ce dernier a causé un dommage aux producteurs de spiritueux chinois concurrents, elle pourra alors imposer des droits anti-dumping Des tarifs douaniers qui pourraient faire très mal aux producteurs français de cognac, dont la Chine constitue l’un des principaux débouchés.

Au-delà de ce conflit particulier, il est utile de se pencher sur la notion de « dumping », tant sa définition juridique apparaît en décalage avec l’analyse économique. En effet, le « dumping » est définit dans la plupart des juridictions et à l’OMC comme le fait pour un exportateur de vendre moins cher à l’étranger que la « valeur normale » qu’il pratique sur son propre marché domestique. Ainsi, en faisant abstraction des coûts de transport et des différentes taxes, une entreprise européenne qui vendrait le même produit à 120 euros en Chine et à 150 euros en Europe pourrait être accusée de pratiquer une marge de dumping de 30 euros. La Chine serait alors en droit d’imposer une taxe de 30 euros, soit 25%, par produit.

Mais en quoi pratiquer un prix inférieur à l’exportation est-il problématique ? Il est en effet assez logique qu’une entreprise vende moins cher à l’exportation, compte tenu de la concurrence intense à laquelle elle fait face sur les marchés étrangers, comparativement à son marché domestique, où elle bénéficie d’une prime de notoriété. Cette stratégie est favorable aux consommateurs du pays importateur puisqu’ils paient le produit … moins cher. De même, le fait de baisser le prix d’un produit à l’export peut être motivé par la volonté de le faire connaître à l’étranger, par exemple en pratiquant un prix d’appel. Dans la même veine, une entreprise peut baisser le prix à l’exportation pour produire en plus grande quantité et bénéficier ainsi d’économies d’expérience, qui diminueront son coût unitaire de production. Le seul cas vraiment problématique est le « dumping prédateur » :  une entreprise vend ses produits à perte à l’exportation, dans l’unique but d’éliminer tous ses concurrents sur le marché étranger, pour ensuite se retrouver en monopole. Ce type de dumping doit être condamné puisqu’il va conduire dans un second temps à des hausses de prix dans le pays importateur. Pour être mis en œuvre avec succès, ce « dumping prédateur » suppose que plusieurs conditions soient réunies : l’entreprise prédatrice doit occuper une position dominante sur le marché mondial, pour pouvoir éliminer la concurrence résiduelle ; l’entreprise prédatrice doit être ensuite en mesure de remonter durablement les prix. Autant dire que ces conditions sont rarement réunies en pratique, rendant le « dumping prédateur » assez peu probable. Le message  de la théorie économique est donc de considérer qu’à l’exception du « dumping prédateur », il n’y a aucune raison de condamner de manière générale les pratiques de prix différenciés entre les pays, qui sont plutôt une bonne nouvelle pour les consommateurs.

Mais comment expliquer ce décalage entre la prudence des économistes et la vision très large retenue par la réglementation sur l’anti-dumping ? Il faut sans doute y voir le résultat d’un compromis politique, négocié au moment des accords du GATT : en échange d’une ouverture des pays au commerce international, les membres du GATT (devenu OMC) ont souhaité disposer d’une « soupape de sécurité » pour pouvoir temporairement protéger un secteur menacé par la hausse trop rapide des importations. Ce compromis politique est légitime mais il signifie aussi que l’anti-dumping est bien souvent, pour reprendre Michael Finger, économiste spécialiste du sujet, un « protectionnisme ordinaire, emballé dans un beau message ». Raison de plus pour en user, comme le brandy, avec une grande modération.

 

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