« Développement durable : existe-t-il des ententes anticoncurrentielles “vertueuses”? » (L’Opinion)

0

Emmanuel Combe a publié le 15 Janvier 2024 une chronique dans L’Opinion sur le développement durable et le droit des ententes

Developpement durable : existe-t-il des ententes anticoncurrentielles “vertueuses”?

L’Autorité de la concurrence vient de condamner à 19 millions d’euros une entente assez originale dans l’agro-alimentaire : trois organismes professionnels de conserveurs et un syndicat de fabricants de boites ont décidé collectivement que leurs membres ne pourraient pas communiquer sur la présence ou non de bisphénol A dans leurs contenant alimentaires (conserves, canettes, etc) avant 2015, date de l’interdiction de cette substance. En bref, les industriels de l’agro-alimentaire plus vertueux que les autres en matière de BPA ne pouvaient utiliser cet avantage pour conquérir des clients.

Ce n’est pas la première fois que ce type d’entente est sanctionné. En 2017, l’Autorité de la concurrence avait déjà condamné 3 fabricants de revêtements de sol qui s’étaient concertés pour ne pas communiquer sur les performances environnementales individuelles de leurs produits. De même, en 2021, la Commission Européenne avait sanctionné 5 constructeurs automobiles qui avaient décidé collectivement de ne pas faire mieux que la législation en matière d’épuration des gaz d’échappement, bien que la technologie ait été disponible.

Au travers de ces exemples, on voit que les autorités de concurrence ont un rôle à jouer dans le développement durable, en luttant contre les pratiques anti-concurrentielles qui le retardent. Mais leur rôle ne saurait se limiter à cette fonction répressive. Elles doivent aussi aider les entreprises qui veulent accélérer leur transition verte mais s’interrogent sur la compatibilité de leur comportement avec le droit de la concurrence.  Tout d’abord, les autorités peuvent considérer que certaines ententes ne présentent pas de risque pour la concurrence. Ainsi, l’autorité hollandaise a accueilli favorablement en 2022 l’entente entre des producteurs de boissons rafraîchissantes, visant à supprimer la poignée en plastique sur leurs multipacks. Ensuite, les autorités de concurrence peuvent autoriser, sous certaines conditions très strictes, une entente qui altère la concurrence mais qui favorise en contrepartie le développement durable. Cet exercice d’exemption est difficile mais pas impossible. A titre d’exemple, en 2022, l’autorité hollandaise a permis à Shell et Total Energies de s’entendre pour stocker du carbone dans les gisements de gaz vides en mer du Nord. Ces deux entreprises sont pourtant concurrentes et ont signé un accord qui prévoit la fixation en commun des prix pour les premiers 20% des capacités de stockage. Cette entente, qui restreint la concurrence, a été autorisée au motif qu’elle permet de démarrer un projet nouveau et innovant, qui n’aurait pas vu le jour en l’absence de coopération, compte tenu de l’ampleur des investissements. Une entente vertueuse, en quelque sorte. Sur ce sujet nouveau des ententes anticoncurrentielles mais favorables au développement durable, la Commission Européenne a publié en Juin 2023 des lignes directrices sur la compatibilité des «accords de durabilité » avec le droit de la concurrence. De son côté, l’Autorité française de la concurrence vient de lancer une consultation publique pour aider les entreprises à y voir plus clair et à sécuriser leurs projets. Une politique de la « porte ouverte », assez novatrice, qui rompt avec la seule politique répressive.

.

 

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici