« 5 nuances de souveraineté économique » (Les Échos)

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Emmanuel Combe a publié dans Les Échos le 9 Janvier 2024 une chronique sur la souveraineté économique.

5 nuances de souveraineté économique 

A l’aube de l’année 2024, la « souveraineté économique » est plus que jamais au centre des préoccupations politiques. Le président de la République l’a d’ailleurs rappelé dans ses vœux, en insistant sur la poursuite du «réarmement de notre souveraineté européenne ». La souveraineté économique reste toutefois une notion à géométrie variable, qui ne fait pas l’objet d’une définition unique et encore moins d’un consensus. 

Une première approche, que l’on peut qualifier de « libérale », considère qu’un pays économiquement souverain n’est rien d’autre qu’un pays … riche. Sa richesse lui donne les moyens financiers d’acheter ce qui lui manque à l’étranger, y compris au prix fort. Cette souveraineté mise pleinement sur l’ouverture au commerce international, au travers d’une spécialisation dans des productions à forte valeur ajoutée. La dépendance aux autres pays n’est pas problématique, puisqu’elle est réciproque et à l’avantage du pays le plus riche. Cette vision repose toutefois sur une forme de naïveté : elle considère que l’adage « make trade, not war » suffit à écarter tout risque géopolitique. 

A l’opposé de cette vision, nous trouvons une seconde conception de la souveraineté économique, tout aussi radicale : elle considère qu’un pays souverain est un pays peu dépendant commercialement des autres et qui freine même leur montée en puissance. Cette souveraineté repose sur une logique de guerre commerciale. Elle préconise ni plus ni moins un retour massif au protectionnisme, au travers de taxes à l’importation et de restrictions à l’exportation. C’est dans cette voie que ce sont engagés les Etats-Unis depuis 2018 vis-à-vis de la Chine. Cette politique laisse perplexe : elle se heurte aux mesures de contournement et de représailles du partenaire commercial ; elle risque même paradoxalement d’accélérer son rattrapage technologique interne, comme on le constate aujourd’hui avec la Chine. 

Entre ces deux visions polaires, il existe tout un dégradé de politiques de souveraineté économique qui, sans remettre en cause l’ouverture au commerce international, viennent la conditionner ou la modérer.  Nous trouvons tout d’abord les politiques de « souveraineté régulatoire » : elles exigent des partenaires commerciaux le respect d’un certain nombre de règles, internationales comme internes. Cette souveraineté régulatoire se heurte au risque de la complexité administrative dans sa mise en oeuvre. Nous trouvons ensuite les politiques de « souveraineté de rattrapage » : l’enjeu est ici de réduire la dépendance du pays sur quelques technologies jugées critiques. Le Covid a été à cet égard un révélateur. Cette politique de rattrapage court le risque d’avoir toujours un « train de retard » par rapport aux concurrents étrangers. Nous trouvons enfin les politiques de «souveraineté de leadership» : l’enjeu est de miser sur des technologies de rupture dont on pense qu’elles domineront demain l’économie mondiale. Le succès de cette souveraineté réside en grande partie dans la capacité du pays à faire émerger la nouveauté radicale, même si cela déstabilise les équilibres économiques existants. 

Aujourd’hui, l’Europe a clairement fait le choix de la nuance en matière de souveraineté économique. Sur le terrain régulatoire, l’Europe a renforcé son arsenal anti-dumping et anti-subventions étrangères pour mieux lutter contre la concurrence déloyale ; elle a aussi adopté une régulation des géants du numérique avec le DMA et le DSA. Sur le terrain du rattrapage technologique, l’Europe a engagé de grands programmes industriels visant à combler nos retards dans les semi-conducteurs ou les batteries électriques. Même constat sur le terrain du leadership technologique : l’Europe mise sur plusieurs innovations disruptives, tels que l’hydrogène, l’informatique quantique ou les technologies vertes. Espérons que l’Europe parvienne demain à maintenir cette voie médiane et raisonnable, à mi-chemin entre une approche libérale naïve et une logique de guerre commerciale.

 

 

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