« Le bilatéralisme et les oubliés du commerce mondial » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 9 Juillet 2019, sur les effets du bilatéralisme.

 

Le bilatéralisme et les oubliés du commerce mondial

Les accords commerciaux ont décidément le vent en poupe : après le Ceta et le Jefta, l’Europe vient de conclure deux nouveaux accords commerciaux, l’un avec le Mercosur, l’autre avec le Vietnam. D’autres sont en cours de négociation avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Ces accords bilatéraux sont par principe discriminatoires puisque les baisses de droits de douane et autres mesures d’accès au marché ne profitent qu’aux deux signataires. Ils sont très éloignés de l’esprit du multilatéralisme, sur lequel est fondé l’OMC : le multilatéralisme repose en effet sur la « clause de la nation la plus favorisée», selon laquelle toute concession faite à un partenaire est automatiquement étendue à tous.

Les accords bilatéraux étant principalement signés entre pays riches – les pays du Nord commercent d’abord entre eux — ou avec des pays émergents, autant dire que les pays les moins avancés (PMA) risquent d’être les grands oubliés. En effet, compte tenu de l’asymétrie des enjeux commerciaux, il est peu probable qu’un pays riche s’engage dans une négociation avec un pays pauvre : le bilatéralisme est d’abord l’affaire des puissants et pays prometteurs.

Pourtant, les pays les moins avancés pourraient retirer un bénéfice d’une plus grande intégration au commerce mondial. En effet, les études empiriques montrent que le commerce peut constituer un levier de sortie de la pauvreté, notamment en stimulant les exportations de produits agricoles et matières premières vers les pays du Nord. Mais encore faudrait-il qu’elles ne soient pas entravées par des pratiques de subvention à la production dans les pays riches, qui ont pour effet de déprimer les cours mondiaux. Dans les faits, l’accès des PMA au marché mondial reste marginal : ils représentent moins de 1 % des exportations et affichent un déficit commercial de 83 milliards de dollars avec le reste du monde en 2017. Dit en d’autres termes, ils importent nos produits mais exportent peu chez nous.

OMC. Pour que les pays pauvres fassent entendre leur voix dans le commerce mondial, la solution passe sans doute par le multilatéralisme, c’est-à-dire… l’OMC. N’oublions pas en effet que, sur les 164 membres de l’Organisation mondiale du commerce, 36 sont des PMA. Ils peuvent bénéficier des retombées d’un accord général, former des coalitions, pour tenter de peser dans les négociations : à l’OMC prévaut la décision par consensus et la règle « 1 pays = 1 voix ». Sur certains sujets vitaux, l’OMC a d’ailleurs permis des avancées majeures en faveur des PMA : par exemple, alors que l’OMC exige que ses membres respectent la propriété intellectuelle, un amendement de 2003 a autorisé les pays pauvres à importer des versions génériques de certains médicaments essentiels sous brevet. Une avancée majeure dans la lutte contre le VIH, la tuberculose ou le paludisme.

Mais pour le plus grand malheur des pays les plus pauvres, l’OMC est aujourd’hui à l’arrêt : le cycle de Doha, lancé en 2001, n’a toujours pas abouti et les chances d’un accord apparaissent bien minces. Voilà au moins une bonne raison de souhaiter le retour de l’OMC sur le devant de la scène : à la différence du bilatéralisme, le multilatéralisme laisse une toute petite place… aux oubliés du commerce mondial.

Emmanuel Combe est vice-président de l’Autorité de la concurrence, professeur à Skema Business School.

mots clés : protectionnisme – expert – Mercosur – OMC – libre échange – cycle de Doha

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