« Netflix : à la recherche du pouvoir de marché » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 26 juillet 2019, sur Netflix.

 

Netflix : à la recherche du pouvoir de marché

Pour la première fois en sept ans, Netflix a perdu des abonnés sur le marché américain : très exactement 126 000 clients entre avril et juin, sur une base de 60 millions d’abonnés. La hausse du prix de l’abonnement standard de 11 à 13 dollars (+18%) a sans doute joué un rôle : lorsqu’un prix monte, il est assez logique que la demande diminue.

Mais se focaliser sur la seule évolution du nombre de clients n’est pas le plus instructif ; il faut surtout se demander si le nombre de clients perdus par Netflix n’a pas été plus que compensé par l’accroissement de la marge sur les clients restés fidèles. C’est même à cela que l’on reconnaît le pouvoir de marché d’une entreprise : sa capacité à augmenter durablement ses prix au-dessus de ses coûts, sans perdre trop de clients.

Au-delà du cas particulier de Netflix, il est intéressant d’analyser les principaux facteurs qui déterminent le pouvoir de marché d’une entreprise.

Premier facteur : la hauteur des barrières à l’entrée. Plus elles sont élevées, moins il est probable qu’un nouvel acteur entre, ce qui confère un pouvoir de marché aux entreprises installées. Parmi les barrières, figure le montant des investissements irréversibles, qui peuvent se chiffrer en milliards de dollars : sur le marché de la vidéo à la demande, il faut disposer dès le départ d’un large portefeuille de films et séries pour espérer attirer les premiers clients.

Deuxième facteur : le nombre de concurrents sur le marché. Plus ce nombre est grand, plus la concurrence est vive, ce qui réduit la capacité de chaque entreprise à fixer et maintenir des prix élevés. A cet égard, dans le secteur de la vidéo à la demande, l’arrivée prochaine de deux poids lourds, HBO et Disney+, risque de compliquer la vie pour Netflix, qui était restée confrontée jusqu’ici à la seule concurrence naissante d’Amazon prime video.

Troisième facteur : le degré de différenciation des produits. Plus les produits sont différenciés, plus l’entreprise dispose d’un pouvoir de marché sur ses clients. La différenciation peut se faire par la qualité (« différenciation verticale ») ou par la variété («différenciation horizontale »). Dans le domaine de la SVOD, ce pouvoir résulte de l’attractivité des nouveaux programmes et de la détention d’un large catalogue de films. Le tout en exclusivité. La bataille des clients en aval se joue d’abord en amont, dans la bataille des contenus.

Dernier facteur : la facilité avec laquelle les clients peuvent changer d’opérateur. Plus les coûts de transfert sont élevés («switching cost »), plus les clients sont captifs une fois qu’ils ont opté pour les produits d’une entreprise, ce qui confère à cette dernière un pouvoir de marché. Les coûts de changement peuvent résulter, par exemple, de l’imparfaite compatibilité entre les produits d’entreprises concurrentes, en particulier lorsque les clients sont engagés dans un écosystème fermé. Dans le cas de la SVOD, les coûts de transfert sont proches de zéro. Le client peut résilier son abonnement d’un clic et aller voir ailleurs quasi- instantanément. Cette faiblesse des coûts de transfert est l’une des spécificités de ce marché et constitue une contrainte forte qui pèse sur l’ensemble des opérateurs.

Emmanuel est professeur à Skema Business School et Vice-Président de l’Autorité de la concurrence.

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