« Made in France : des idées (reçues) et des chiffres » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 14 Juin 2019, sur le « Made in France ».

 

Made in France : des idées (reçues) et des chiffres

« Cocorico ! » pourrait-on s’exclamer en parcourant la dernière étude de l’Insee, montrant que 81 % de la consommation des ménages français est constituée de « made in France ». Mais à y regarder de près, ce chiffre global masque une réalité beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. En effet, tout l’intérêt de la méthodologie statistique de l’Insee est de reposer sur une définition graduelle et non binaire du « made in France » : elle consiste à mesurer, pour chaque produit consommé, la proportion de valeur ajoutée domestique et celle qui est importée. Par exemple, si une chemise fabriquée en France utilise 14 % de fil provenant de Turquie et 36 % de tissu importé d’Inde, alors cette chemise sera considérée comme française à… 50 %.

Cette méthodologie conduit à interroger plusieurs idées reçues.

Première idée reçue : il y aurait des produits français et des produits qui ne le seraient pas. Au risque de décevoir les puristes, le produit 100 % « made in France » n’existe probablement pas : chaque produit incorpore une part plus ou moins grande de composants importés.

Seconde idée reçue : un produit français serait un produit de marque française, fabriqué par une entreprise ayant une attache historique dans notre pays. En réalité, la mesure du «made in France » retenue par l’Insee est indifférente à la nationalité de l’entreprise : par exemple, la Toyota Yaris, fabriquée à Valenciennes avec une forte valeur ajoutée domestique, est l’une des voitures les plus françaises, bien que la marque soit… japonaise.

Troisième idée reçue : les Français consommeraient majoritairement du « made in France» par patriotisme économique. En réalité, les 81 % de notre consommation de « made in France » s’expliquent par la structure de nos dépenses, qui est celle d’un pays riche : nous dépensons d’abord notre argent dans les services de logement (loyer), de transport, d’éducation ou de santé, plutôt que dans l’achat de produits alimentaires ou de vêtements. Or, les services ont comme caractéristique principale d’avoir un faible contenu en importations, à l’image de l’éducation.

Si l’on se focalise sur les seuls produits industriels, l’Insee nous révèle un tout autre tableau : la consommation de « made in France » est seulement de… 36 %. Cela revient à dire que les produits industriels que nous consommons sont constitués à 64 % d’importations ; ce chiffre monte à 87 % pour la consommation de vêtements ou de chaussures et dépasse même les 90 % pour les produits électroniques ! Plus encore, en dépit des appels répétés de nos décideurs politiques en faveur du « consommer français », le « made in France » est en recul de 2 points dans notre pays sur la période 2005/2015 et se situe en dessous de la moyenne de l’OCDE (85,5 %).

Quatrième idée reçue : le déclin de la consommation « made in France » s’expliquerait par la montée en puissance des importations chinoises. C’est en partie vrai mais l’Insee nous montre que le contenu importé des produits consommés en France provient d’abord d’Allemagne (13 %), loin devant la Chine (7,7 %). Ce résultat est assez cohérent avec la persistance d’un fort déficit commercial avec notre partenaire Outre Rhin, qui a atteint 17 milliards d’euros en 2017. Il témoigne en réalité du décrochage de notre compétitivité industrielle au sein même de l’Union européenne.

En matière de « made in », la lecture attentive de quelques statistiques en dit plus long que tous les discours.

Emmanuel Combe est vice-président de l’Autorité de la concurrence, professeur à Skema Business School.

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