Emmanuel Combe a publié une chronique le 31 Août 2023 dans L’Opinion sur l’IA générative et son impact sur l’emploi.
Chat GPT et emploi : serez-vous demain automatisés ou augmentés ?
Avec l’arrivée de l’IA générative dans les entreprises se pose la question de son impact sur le marché du travail. Dans la précédente chronique, nous avons analysé les effets de ChatGPT sur le niveau global de l’emploi, en montrant qu’il fallait prendre en compte les effets directs comme indirects. Une autre question redoutable est de savoir si tous les travailleurs seront impactés de la même manière.
L’Organisation Internationale du Travail (OIT) vient de publier une étude passionnante sur ce sujet. Elle prend appui sur une classification statistique de 436 professions et 3123 tâches, chaque profession étant constituée d’un ensemble de tâches qui se combinent entre elles. L’OIT a mesuré un degré d’exposition de chaque tâche à l’IA générative : une tâche pourrait-elle être effectuée en partie ou en totalité par une IA ou l’intervention humaine reste-t-elle primordiale ? Par exemple, dans le cas d’un professeur en enseignement primaire, il y a peu de risques que la tâche consistant à « maintenir la discipline et des habitudes de travail dans la classe » puisse être effectuée par une IA. A l’inverse, l’intelligence artificielle peut réaliser une grande partie de la tâche consistant à « préparer un plan de cours quotidien et à long terme ».
Un premier résultat de l’étude est que toutes les professions ne sont pas logées à la même enseigne. Les plus en risque sont les employés de bureau : 24% de leurs tâches sont très exposées à l’IA générative, contre seulement 1 à 4% pour les autres professions. De même, certaines professions comme les bibliothécaires, les guichetiers de banque ou les pigistes offrent un fort degré d’exposition. Pour tous ces métiers, le « potentiel d’automatisation » de leur travail est élevé. A l’inverse, les managers, les artisans, les monteurs, les travailleurs qualifiés de l’agriculture, de la sylviculture ou de la pêche sont en moyenne peu exposés à l’IA. De plus, lorsqu’ils le sont, c’est sur des tâches très spécifiques. Dans ce cas, l’IA sera utilisée de manière ponctuelle mais l’élément humain restera déterminant. L’IA va libérer du temps pour des tâches moins routinières et offrir un potentiel de « travail augmenté », c’est-à-dire plus qualitatif et gratifiant.
L’OIT se livre dans un second temps à une quantification du nombre d’emplois qui pourraient être « augmentés » ou « automatisés » au niveau mondial. Il apparait que le potentiel de travail augmenté est beaucoup plus élevé que le potentiel d’automatisation, ce qui est plutôt rassurant : 13% des emplois dans le monde – soit 427 millions- pourraient être « augmentés », contre seulement 2,3% – soit 75 millions – qui pourraient être « automatisés ». Ces chiffres élevés nous indiquent aussi qu’il faut s’attendre à de fortes turbulences sur le marché du travail, avec un processus massif de disparition de certains emplois et de redéfinition des tâches à l’intérieur de chaque profession. Ces bouleversements auront surtout lieu dans les pays riches, nous dit l’OIT. Au sein des pays riches, ce sont surtout les femmes qui feront les frais du « potentiel d’automatisation », compte tenu de leur forte présence dans les métiers d’ « employé de bureau ».
Bref, la destruction créatrice sur le marché du travail est fort probable demain mais elle risque de ne pas toucher tout le monde de la même manière.