« Faut-il augmenter l’éco-contribution aérienne ? » (Les Échos)

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Emmanuel Combe a publié le 6 Septembre 2023 une tribune dans Les Échos, avec Paul Chiambaretto sur la hausse de l’éco-contribution du transport aérien.

Faut-il augmenter l’éco-contribution aérienne ?

 Annoncée depuis plusieurs mois, l’augmentation de l’éco-contribution payée par les compagnies aériennes semble se préciser. Si le périmètre et le montant de cette taxe font encore l’objet de discussions, il est néanmoins utile de s’interroger sur le bien-fondé de son augmentation.

Rappelons que l’éco contribution sert à financer l’Agence de financements des infrastructures de transport de France (AFITF) dont l’objectif est d’investir dans les infrastructures ferroviaires, portuaires et routières. Le transport aérien y est déjà assujetti depuis 2020. Pourquoi demander aujourd’hui au seul secteur aérien d’augmenter sa contribution ? Le transport aérien représente entre 2 et 3% des émissions mondiales de CO2, contre 8% par exemple pour le transport routier de marchandises, qui n’est pourtant pas concerné par une telle hausse. On nous objectera que le transport aérien ne paye pas de taxes sur le kérozène, tant pour les vols internationaux que nationaux. Mais il y a une contrepartie à cela : toutes les compagnies doivent s’acquitter du tarif de sûreté et de sécurité, qui finance une mission régalienne de l’Etat français. Elles sont également assujetties à pas moins de 5 taxes spécifiques.

Ce transfert de revenus de l’aérien vers le ferroviaire est d’autant plus paradoxal que l’on augmente une taxe dans un secteur très concurrentiel pour financer un secteur ferroviaire qui reste aujourd’hui encore en quasi-monopole. Contrairement aux idées reçues, le secteur aérien est un secteur à faibles marges. Un chiffre suffit à s’en convaincre : selon l’IATA, à l’échelle mondiale, le profit par passager aérien prévu pour 2023 devrait être de 2,25 dollars, soit la moitié du prix d’un café, pour reprendre l’image de l’IATA. Autant dire que toute augmentation de l’éco-contribution sera répercutée intégralement sur les passagers.

Au-delà de son ciblage sur le seul secteur aérien, la hausse de l’éco-contribution pose deux questions : celle de son assiette et celle de l’affection des recettes. Concernant l’assiette, elle ne concerne actuellement que les vols au départ de la France, avec un montant différencié selon la longueur du vol et selon la classe de voyage. Un périmètre géographique aussi restreint risque de générer des distorsions de concurrence. En effet, un passager au départ de la province et faisant une correspondance à Paris sur un vol long-courrier devra payer 2 fois cette éco-contribution. A l’inverse, s’il fait sa correspondance en Allemagne ou Royaume-Uni, il ne la payera qu’une seule fois et sur le vol le plus court. Une telle situation va porter atteinte à la compétitivité d’un pavillon français déjà mal en point. L’éco-contribution devrait être pensée a minima à l’échelle européenne, voire mondiale, pour limiter les fuites de trafic et les correspondances vers des hubs plus lointains qui, au final, augmenteront les émissions de CO2. De même, si la différenciation de la taxe selon la classe de voyage est justifiée, son calibrage s’avère délicat : si la taxe est trop forte, les passagers en classe affaires préfèreront voyager en classe économique ou sur d’autres compagnies aériennes, ce qui conduira ces dernières à augmenter très fortement le prix des billets en classe économique pour compenser le manque à gagner.

Pour ce qui est de l’affectation des recettes, celles-ci devraient continuer à financer le réseau ferroviaire. Mais l’éco-contribution ne favorisera pas pour autant la transition environnementale du transport aérien.  Paradoxalement, elle pourrait même la retarder : en réduisant les marges des compagnies aériennes, elle va ralentir leurs investissements dans des flottes plus récentes ou dans le recours aux carburants durables. Ces recettes devraient être fléchées vers la R&D pour l’aviation verte ou pour encourager le recours aux carburants durables.  A défaut de retenir une telle option, l’AFITF pourrait décider d’affecter les recettes au renforcement de la complémentarité modale entre le train et l’avion. Par exemple, en améliorant la desserte ferroviaire des aéroports afin de développer une véritable intermodalité. Cette affectation de l’éco-contribution aurait aussi un mérite symbolique : cesser enfin d’opposer le ferroviaire et l’aérien.

Paul Chiambaretto est professeur à Montpellier Business School et directeur de la Chaire Pégase dédiée à l’économie et au management du transport aérien.

Emmanuel Combe est professeur des Universités à Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à Skema Business School

 

 

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