« Avion vert : au-delà de la R&D, le défi de l’industrialisation » (Les Echos)

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Emmanuel Combe a publié dans Les Echos le 21 Mars 2024 une tribune avec Paul Chiambaretto.

Avion vert : au-delà de la R&D, le défi de l’industrialisation 

A l’heure où la réduction des émissions de carbone s’est imposée comme une priorité en Europe, les initiatives innovantes se multiplient dans le transport aérien. Ainsi, les carburants verts ont fait leur apparition, tandis que les projets d’avions innovants foisonnent, à l’image d’Aura Aero qui a engrangé plus de 500 commandes de son avion hybride électrique.

Ces initiatives, largement centrées sur le stade amont de la R&D, sont bienvenues mais elles ne permettront pas à elles seules de diminuer rapidement les émissions  de gaz à effets de serre. L’enjeu principal aujourd’hui est de lever tous les freins qui limitent en aval la production à grande échelle d’avions verts ou moins polluants.

En premier lieu, accélérer le renouvellement des flottes d’avion permettrait déjà de réduire significativement les émissions. A ce jour, seulement 25% de la flotte mondiale est composée d’avions de dernière génération, qui consomment 25% de moins que leurs équivalents plus anciens. Le problème fondamental est que les constructeurs comme Airbus et Boeing font face depuis le Covid à un véritable goulot d’étranglement : ils produisent aujourd’hui moins d’avions qu’en 2018. Les causes en sont multiples mais l’un des points bloquants est le manque d’attractivité de la filière aéronautique. En dépit de rémunérations attractives, l’aérien manque aujourd’hui d’ingénieurs mais aussi d’ouvriers qualifiés. L’enjeu est notamment de lever l’auto-censure observée chez les jeunes. Selon la Chaire Pégase, 32% des jeunes de 15-25 ans pensent ne pas avoir les capacités pour faire carrière dans ce secteur – et ce chiffre monte même à 43% chez les jeunes femmes. Une action forte des pouvoirs publics comme des acteurs privés apparaît nécessaire, pour renforcer l’attrait des métiers de l’industrie aérienne.

En second lieu, si l’on sait aujourd’hui produire des carburants verts – les fameux Sustainable Aviation Fuels (SAF) – on n’arrive pas encore à passer à l’échelle, comme sont en train de le faire les Etats-Unis. Pour que la filière des SAF grandisse plus vite, une impulsion publique est nécessaire, et ce d’autant que les normes européennes prévoient une incorporation croissante de carburants durables par les compagnies aériennes.  Elle pourrait prendre la forme d’une accélération dans la délivrance des autorisations d’installation d’usines produisant de tels carburants. Au-delà même du cas particulier des SAF, une action publique qui permettrait de raccourcir les délais pour la construction de lignes de production destinées à des produits verts (tels que les avions électriques, hydrogènes ou hybride) serait utile.

En troisième lieu, si la France regorge de pépites qui ont mis en point des prototypes d’avions verts, ces start-ups font face aujourd’hui à la fameuse « vallée de la mort », celle du passage à l’industrialisation. Cette phase est très gourmande en capitaux puisqu’il s’agit de produire à grande échelle. Or les investisseurs privés sont pour l’heure assez frileux, et ce d’autant que les délais de retour sur investissement sont allongés par l’étape nécessaire de certification d’un nouvel appareil. Une action forte de l’Etat, via la BPI par exemple, consisterait à flécher une part plus importante des prêts et subventions en direction de la production industrielle de nouveaux avions et pas seulement vers la R&D. De même, sans remettre en cause l’impératif de sécurité, une réflexion doit être engagée sur la manière de réduire les délais de certification d’un nouvel appareil, qui prend actuellement plusieurs années.

 

Tout en continuant à investir dans la R&D, il est nécessaire de préparer dès à présent l’étape cruciale de l’industrialisation. Elle seule permettra demain d’avoir l’expérience et les capacités pour produire en grande quantité et rapidement des avions verts. L’enjeu est de faire en sorte que l’avion vert ne reste pas une affaire d’inventeurs, de chercheurs et de startups mais se transforme en un défi industriel vertueux, qui contribuera aussi à la réindustrialisation de la France.

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