Emmanuel Combe a publié le 1 Avril 2024 une chronique dans L’Opinion sur le DMA.

DMA : trois lettres qui changent beaucoup

A peine entré en vigueur il y a quelques semaines, le Digital Market Act fait déjà parlé de lui. La Commission vient en effet d’annoncer qu’elle ouvrait plusieurs enquêtes à l‘encontre de 3 géants du numérique, soupçonnées de ne pas être en conformité avec le DMA. Mais que recouvre exactement ces trois lettres ?
Le DMA est une régulation européenne qui encadre  le comportement de grandes entreprises du numérique, considérées comme des «contrôleurs d’accès » («gatekeepers »), au motif qu’elles structurent la vie de nombre de citoyens et d’entreprises en Europe. 5 sont américaines – Apple, Alphabet, Meta, Amazon, Microsoft-  et l’une chinoise, Bytedance, maison mère de TikTok.
Mais pourquoi l’Europe veut-elle absolument réguler ces géants ? La question est d’autant plus légitime qu’il existe déjà un instrument juridique : le droit de la concurrence. Mais ce droit s’est révélé trop étroit : il permet seulement de condamner les abus de position dominante et les ententes anticoncurrentielles. Il n’adresse pas des sujets essentiels et nouveaux comme la loyauté des plateformes dans leurs relations avec leurs clients et utilisateurs finaux, l’interopérabilité entre plateformes ou l’entrée de nouvelles entreprises au sein de leur éco-système.  De plus, le droit de la concurrence s’est révélé en Europe trop lent : en dépit d’amendes en milliards d’euros, il est intervenu toujours après coup (ex-post) et trop tard.
Le DMA vient changer complètement la donne : fini les longues enquêtes antitrust pour délimiter le fameux « marché pertinent », établir la position dominante, démontrer l’abus puis le sanctionner. Voici venu le temps de la régulation ex-ante : si vous êtes un contrôleur d’accès, alors vous devez vous soumettre depuis le 8 Mars à une liste d’obligations et d’interdictions. Cela a au moins le mérite de la clarté.
Les obligations et interdictions sont tout sauf des formalités ; elles vont fortement contraindre le modèle économique des contrôleurs d’accès. Mentionnons, par exemple, le fait que les gatekeepers ne peuvent pas pratiquer l’auto-préférence ou orienter les clients sur une seule application ; ils doivent également rendre leurs services interopérables lorsqu’un utilisateur le leur demande et informer la Commission de tout projet d’acquisition d’entreprise. Si les gatekeepers ne sont pas en conformité avec leurs obligations et interdictions, alors les sanctions tombent. Des sanctions pécuniaires très lourdes, inspirées du droit de la concurrence : des amendes pouvant aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires mondial, et même 20 % en cas de récidive ! Plus encore, en cas de non-respect systématique, la Commission pourra enjoindre au contrôleur d’accès de céder tout ou partie d’une activité. La menace du démantèlement n’est plus très loin.
Le DMA va-t-il vraiment changer la donne en Europe ? Oui pour les utilisateurs finaux et les entreprises qui évoluent au sein des éco systèmes des gatekeepers. Pour autant, il est peu probable que le DMA modifie radicalement le paysage concurrentiel en Europe. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si aucune des 6 entreprises désignées comme « gatekeeper » n’est européenne. L’Europe a perdu depuis bien longtemps la bataille des géants du numérique, même si nous excellons sur des niches. Finalement, à défaut d’avoir des géants européens, il nous reste … la régulation des géants américains et chinois.

 

 

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