Emmanuel Combe a publié dans L’Opinion le 16 Février 2021 une chronique sur la croissance des start-up.
Start-ups : sortir de la vallée de la mort, et après ?
L’accès des start-ups aux sources de financement n’a rien d’un long fleuve tranquille. Tout d’abord, ces jeunes pousses ne disposent pas d’un véritable historique qui permette aux investisseurs d’établir des prévisions fiables sur leurs chances de succès. Ensuite, leurs actifs sont bien souvent des actifs intangibles : il s’agit par exemple d’un nouveau modèle d’affaires, de capital humain ou d’une activité de recherche-développement. Ces actifs sont donc difficiles à évaluer et à revendre en cas d’échec, contrairement à un actif physique comme une machine ou un stock de matières premières. Dit de manière imagée, le capitalisme des start-ups c’est un « capitalisme sans capital » physique.
Il n’est donc pas surprenant que les start-ups aient un accès difficile aux sources de financement externe. Du côté du financement par endettement bancaire, elles ont peu de choses à attendre : les banques sont réticentes à les financer, pour se prémunir de deux risques bien connus en microéconomie. Tout d’abord, le risque de « sélection adverse » : comme elles exigeront des taux d’intérêt élevés, les banques craignent d’attirer les projets … les plus risqués. Ensuite, le risque de « hasard moral » : si elle obtenait un financement, la start-up serait tentée d’investir dans des projets plus risqués, puisqu’en cas de faillite c’est la banque qui supportera l’essentiel des pertes.
Autant dire que les start-ups vont devoir se tourner vers le financement non bancaire, au travers du capital-risque, qui investit en fonds propres. Une étude récente de la DG Trésor vient apporter un éclairage empirique intéressant sur ce sujet. Si l’on compare la France aux autres pays européens, notre pays apparaît plutôt bien positionné, grâce à l’action de la BPI : en termes de montants levés, nous figurons en seconde position devant l’Allemagne. Mais si l’on compare l’Europe au reste du monde, le tableau est plus inquiétant : en 2019, les start-ups européennes ont levé quatre fois moins de fonds que leurs homologues américaines et deux fois moins que les start-ups asiatiques. Autre sujet d’inquiétude : lorsqu’il s’agit de sortir de la « vallée de la mort », ce moment critique où les start-ups doivent lever de forts capitaux pour changer d’échelle et s’industrialiser, les pays européens sont en retrait. Par exemple, si les start-ups françaises ont un taux de survie à 3 ans très élevé, elles peinent à obtenir en Europe des levées de fonds suffisantes pour grandir vite. Dans ces conditions, elles se tournent vers des investisseurs extra-européens, se font racheter par de grands groupes ou se développent moins rapidement. La situation est assez similaire dans les autres pays d’Europe, à l’exception du Royaume-Uni. Le résultat est que l’Europe dispose certes d’un large vivier de start-ups innovantes mais compte seulement 33 licornes, soit 7% du total des licornes dans le monde. Les États-Unis en ont 236 (soit 48 %) et la Chine 119 (soit 24 %). L’enjeu véritable pour l’Europe n’est donc pas celui de la naissance ou de la survie des start-up; l’enjeu, c’est celui de leur croissance, pour qu’elles sortent rapidement de la vallée de la mort … et deviennent de nouveaux géants.