« Facebook : à vos marques, prêts, payez ? » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié une chronique dans L’Opinion le 12 Octobre 2023 sur le modèle Meta.

Facebook : à vos marques, prêts, payez ?   

Meta, la maison mère de Facebook et d’Instagram a annoncé la semaine dernière qu’elle pensait lancer une version payante de ses réseaux sociaux en Europe, sans publicité, financée par abonnement.

Pourquoi Meta envisage-t-elle de faire évoluer son modèle de revenus ? Jusqu’à présent, la quasi-totalité de ses revenus provient de la publicité ciblée. En échange de l’usage gratuit du réseau social, les utilisateurs acceptent de céder leurs données à Meta, qui les monétise auprès d’annonceurs. Dit en d’autres termes, l’accès gratuit se paie indirectement … en recettes publicitaires. En Europe, chaque compte Facebook actif a rapporté en 2022 environ 17$ par trimestre. C’est beaucoup moins qu’aux Etats-Unis (58$), mais plus que la moyenne mondiale (10,8$). Le problème est que cette manne publicitaire risque de se tarir en Europe, notamment à la suite de l’entrée en vigueur du Digital Service Act (DSA). En effet, Meta doit désormais obtenir le consentement des usagers basés dans l’Union Européenne, avant de pouvoir utiliser leurs données. Il n’est pas certain que tous les utilisateurs donnent leur accord. Face à ce risque de baisse des recettes publicitaires, l’enjeu pour Meta est donc de trouver un nouveau levier de revenus.

Une solution assez radicale serait de passer à un modèle 100% payant : les utilisateurs devraient tous payer pour accéder au réseau social. Une telle solution apparaît assez irréaliste : il est très difficile de rendre payant ce qui a été jusqu’ici gratuit ou perçu comme tel par les utilisateurs. C’est une différence essentielle avec un modèle comme celui de Netflix, qui a été dès le départ payant dans la vidéo à la demande, avant de proposer une version moins chère avec de la publicité. A cet égard, une étude empirique de Sustein (Harvard) menés aux Etats-Unis en 2018 parvient à un résultat intéressant : lorsque l’on demande aux utilisateurs de Facebook combien ils seraient prêts à payer pour continuer à l’utiliser, le montant moyen proposé est de 7,3$ par mois. Et 46% des sondés propose même 0$ ! Le consentement à payer apparaît donc assez faible. Le paradoxe est que ces mêmes utilisateursaccordent beaucoup de valeur au service rendu par Facebook. En effet, l’étude de Sustein montre également que lorsqu’on demande aux utilisateurs combien il faudrait leur donner au minimum pour qu’ils renoncent à utiliser Facebook pendant un mois, ils répondent en moyenne 75$. Cette discordance entre le consentement à payer et la disposition à accepter de renoncer à quelque chose est connue en économie comportementale sous le nom « d’effet de dotation » ou « d’aversion à la dépossession» : renoncer àce que l’on utilise ou possède déjà est toujours très coûteux.

Pour des réseaux sociaux comme Facebook et Instagram qui souhaitent diversifier leur revenus, la solution la plus réaliste est donc de conserver la version gratuite, tout en lançant une version payante. Pour être attrayante, cette dernière doit être perçue comme bien meilleure que la version gratuite : suppression de la publicité ciblée mais aussi ajout de nouvelles fonctionnalités exclusives. Il est également possible de dégrader l’expérience des utilisateurs qui restent sur la version gratuite. L’enjeu majeur est de créer un écart d’expérience suffisamment important entre les deux versions pour que certains utilisateurs choisissent de basculer du gratuit au payant.

 

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