« L’effet Amazon » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié une chronique dans L’Opinion le 9 Novembre 2020 sur l’impact d’Amazon sur les prix.

Commerce en ligne: “l’effet Amazon”

 

Si les plateformes numériques sont naturellement propices à un phénomène de « winner takes all », nous avons montré dans la précédente chronique que ce phénomène était assez variable selon les marchés. Ainsi, le leader Amazon affiche une part de marché moins élevée que celle de Google sur les moteurs de recherche ou celle de Facebook sur les réseaux sociaux. En effet, Amazon représente 38 % du commerce en ligne aux Etats-Unis et 22 % en France. Si l’on inclut les ventes physiques réalisées dans les commerces de détail, la part de marché d’Amazon tombe même à… 5 %.

Peut-on en conclure pour autant qu’Amazon n’exerce aucune influence sur le marché ? Pas si sûr. Comme le montre Cavallo dans une étude sur le cas américain, Amazon a modifié la manière dont les grandes chaînes de distribution telles que Walmart fixent leurs prix. Il met ainsi en évidence un double « effet Amazon ».

En premier lieu, la présence d’Amazon augmente la fréquence des changements de prix dans la grande distribution. Les prix, qui changeaient en moyenne tous les 6,7 mois en 2008 sont ajustés désormais tous les 3,65 mois. Ce phénomène est important car il rompt avec la « résilience » observée par le passé : avant le numérique, les étiquettes ne changeaient pas tous les matins, à l’exception des produits frais, car il était techniquement coûteux de modifier des milliers de prix. De plus, la résilience des prix faisait partie d’une sorte de « contrat de confiance» entre l’enseigne et son client : ce dernier était assuré de payer à peu près le même prix d’une semaine sur l’autre, en remplissant le même panier ; il n’avait du coup aucune incitation à comparer les prix et restait fidèle à son enseigne habituelle.

Mais le géant du e-commerce est venu changer la donne. Il joue auprès des clients le rôle d’un « référentiel prix» : même s’ils n’achètent pas sur Amazon, ils viennent y consulter les prix. Il en résulte que les grands distributeurs historiques doivent tenir compte des prix d’Amazon. Or, comme Amazon modifie très fréquemment ses prix, les distributeurs ajustent également leurs prix plus souvent qu’auparavant. A la baisse comme à la hausse. Cette fréquence plus grande dans l’ajustement des prix apparaît particulièrement marquée pour les produits sur lesquels les distributeurs en ligne sont très présents, à l’image des produits électroniques.

En second lieu, Cavallo montre que la dispersion des prix au sein d’une même enseigne, en fonction de la localisation physique des magasins, a tendance à s’estomper, sauf pour les produits alimentaires. Ainsi, lorsqu’un produit de Walmart est aussi présent sur Amazon, il y a 97 % de chances pour que Walmart applique le même prix dans tous ses magasins. C’est 5 % de plus que lorsque le produit n’est pas vendu sur Amazon. Ce phénomène est assez nouveau : les distributeurs ont pendant longtemps fixé des prix différents pour un même produit, selon l’intensité de la concurrence locale. A nouveau, la présence d’Amazon rend la discrimination géographique plus difficile, dans la mesure où les clients disposent d’un référentiel de prix unique sur l’ensemble du territoire américain.

Ces deux « effets Amazon », observés aux Etats-Unis, sont-ils observables dans un pays comme la France ? La question est ouverte.

Emmanuel Combe est professeur à Skema business school et vice-président de l’Autorité de la concurrence.

 

 

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