« L’ultra low cost, grand gagnant du rebond » (L’Opinion)

Emmanuel Combe a publié avec Paul Chiambaretto une tribune dans L’Opinion le 9 Octobre 2023.

 

Transport aérien : l’ultra low cost, grand gagnant du rebond

Pour le transport aérien, 2023 sera probablement en Europe l’année du retour à la normale, c’est-à-dire au niveau de trafic d’avant le Covid. En parallèle d’une sorte de retour à la normale, cette reprise s’explique notamment par un phénomène que certains appellent le « travel revenge » : les passagers rattrapent tous les vols qu’ils n’ont pu effectuer au cours des dernières années. Des vols pour un motif de loisir mais aussi pour un motif affinitaire.

Pour autant, si la reprise est bien là en Europe, rien ne dit que ce rebond sera durable. Il est encore trop tôt pour l’affirmer. N’oublions pas que le trafic de passagers dépend à la fois de la croissance économique en Europe mais aussi du prix des billets. Or, ces derniers ont explosé au cours des derniers mois (+20 à 30% sur un an) et vont probablement continuer à augmenter, entre autres, sous l’effet de la fiscalité environnementale. De même, le prix du pétrole reste également une grande inconnue : il impacte fortement les compagnies puisqu’il représente entre 20 et 30% des coûts. Avec la remontée actuelle du cours du baril de pétrole, la crainte principale est que cette reprise ne soit que temporaire.

Plus encore, le rebond ne concerne pas tous les segments de clientèle : il manque toujours 20% de la demande des voyageurs professionnels. La visio-conférence, les nouvelles politiques de voyage des entreprises sont passées par là. Or, la clientèle affaires est celle qui est la moins sensible au prix, qui voyage le plus sur le long courrier et qui génèrent l’essentiel des marges pour les grandes compagnies historiques.

Il est vrai que le rebond a mécaniquement eu un effet positif sur la profitabilité des compagnies aériennes, qui sont revenues dans le vert. Dans une industrie où la moitié des coûts sont des coûts fixes, le volume de trafic est la clé de la rentabilité. Pour autant, il ne faut pas oublier que le transport aérien reste structurellement un secteur à faibles marges, en dépit de chiffre d’affaires importants. Ainsi, selon les prévisions de l’IATA, à l’échelle mondiale, le profit par passager aérien en 2023 devrait être de l’ordre de 2,25 dollars … c’est la moitié du prix d’un café à Genève comme l’illustre l’économiste de l’IATA. Autant dire que la capacité des compagnies aériennes à absorber de nouvelles augmentations de taxes reste limitée ; toute augmentation sera répercutée quasi-intégralement sur les passagers et donc sur le trafic.

Plus encore, au sein même du transport aérien, toutes les compagnies ne sont pas logées à la même enseigne en termes de rentabilité. La crise du Covid a accentué un phénomène déjà visible avant 2020 : la forte montée en puissance des compagnies low cost en Europe, et tout particulièrement de l’ultra low cost, avec des acteurs comme Ryanair, Pegasus ou Wizzair. Tout d’abord, parce que ces compagnies ont une structure de coûts avec de forts coûts variables, elles ont été moins touchées par les différents confinements que les compagnies traditionnelles ayant plus des coûts fixes. Ensuite, lorsque les déplacements étaient limités à l’Europe, le réseau des compagnies low-cost, essentiellement européen, a été moins impacté, alors que les compagnies traditionnelles, très présentes sur le long-courrier, étaient plus affectées. Enfin, les ultra low cost ont une clientèle davantage loisir et affinitaire, qui constitue aujourd’hui l’essentiel du rebond du trafic. La crise du Covid a accentué leur montée en puissance en Europe : le low cost représente aujourd’hui 45% du trafic.

Au final, trois ans après la crise, les compagnies à bas coûts, et tout particulièrement l’ultra low cost, n’ont jamais été aussi fortes. Elles affichent d’ailleurs une rentabilité à deux chiffres. Dans ces conditions, toute taxation différenciée, notamment ciblée sur le seul long courrier ou sur les aéroports principaux, serait susceptible de creuser encore plus l’écart entre les gagnants et les perdants de la crise.

 

 

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