Le low cost est souvent présenté comme un modèle qui pénaliserait les consommateurs en réduisant le niveau de qualité des produits et services. Nous défendons ici la thèse inverse selon laquelle le low cost profite en réalité aux consommateurs, en leur permettant de choisir le niveau de qualité qu’ils souhaitent en échange d’un prix plus faible. Les véritables victimes du low cost sont à rechercher du côté des entreprises installées, qui se voient contraintes de redéfinir leur modèle économique pour s’adapter à cette nouvelle donne concurrentielle.
Le low cost a aujourd’hui envahi de nombreux pans de la consommation des ménages, du transport aérien à la distribution alimentaire, en passant par la banque, l’automobile, l’immobilier, l’assurance, la coiffure, la jardinerie, la téléphonie mobile, etc.
Pourtant, en dépit de son vif succès commercial, il alimente toujours la critique et le soupçon. Selon ses détracteurs, le low cost relèverait du marché de dupes, de l’illusion d’optique, sacrifiant la qualité des produits sur l’autel du prix bas : par une sorte de ruse de la raison, la principale victime du low costserait… le consommateur lui-même.
Cette vision est pour le moins surprenante. En premier lieu, comment expliquer que les consommateurs adhèrent durablement à ce modèle économique, sauf à considérer qu’ils sont myopes et désinformés ? Hypothèse pour le moins héroïque à l’heure d’Internet et des comparateurs de prix ; à l’heure où les tests réalisés par les associations de consommateurs, pourtant peu complaisantes, vantent les mérites des produits low cost. Autre hypothèse : la consommation low cost résulterait moins d’un choix réfléchi des ménages que d’une contrainte budgétaire de plus en plus forte. Si elle a un sens dans la distribution alimentaire et l’immobilier, cette assertion est plus discutable dans des secteurs comme l’aérien ou la banque low cost, qui s’adresse à une clientèle aisée.
En second lieu, le débat sur la qualité souffre d’une ambiguïté sémantique : la qualité étant une notion polysémique, renvoyant tout à la fois au nécessaire et à l’accessoire, de quelle caractéristique parle-t-on lorsque l’on stigmatise le low cost ? Dans l’aérien par exemple, la sécurité des vols et dans une moindre mesure leur ponctualité constituent des variables non négociables aux yeux des clients. Les grandes low cost l’ont bien compris, qui affichent des niveaux de sécurité et de ponctualité comparables – voire supérieurs (voir : Rupp & Sayanak [2008]) – aux compagnies historiques. Mais il n’en va pas de même pour d’autres dimensions de la qualité, telles que la variété des options ou le niveau des services proposés : si le petit-déjeuner dans l’avion se traduit par un surcroît de prix marqué, certains consommateurs sont prêts à y renoncer, en échange d’un prix plus faible. En réalité, la force du low cost est d’avoir compris, qu’au-delà d’un seuil minimal, la qualité n’est jamais une fin en soi et qu’elle doit être toujours mise en balance avec le surprix occasionné pour le client. En choisissant d’acheter low cost, les consommateurs affichent en réalité leur refus d’une sur-qualité imposée : pourquoi acheter des options ou des services qui ne seront pas utilisés ? Loin de les spolier, le low cost remet au centre du jeu des consommateurs qui ne veulent plus payer pour des promesses non tenues, pour du superflu acheté au prix fort.
S’il y a bien une victime du low cost, il faut plutôt la chercher du côté des entreprises installées. En particulier, celles qui n’ont pas pris à temps la mesure du phénomène. Longtemps, le low cost a été considéré par les “insiders” comme un modèle qui ne résisterait pas aux multiples chocs externes sur les coûts (pétrole, réglementation, etc.) ; comme un modèle qui touche un segment de clientèle limité, aux contours bien définis et non desservi jusqu’ici. La crise de 2008/2009 est venue balayer ces deux certitudes : loin de vaciller, le low cost a accéléré sa diffusion, notamment dans l’aérien et l’automobile, et touche aujourd’hui, à des degrés divers selon les secteurs, la majorité de la population.
En tirant les besoins des consommateurs vers le minimalisme, le low cost bouscule les frontières établies du marché. Chaque produit est en quelque sorte “mis à nu”, “découpé”, “dépouillé” de ses attributs annexes pour n’en retenir que le cœur, c’est-à-dire la fonction essentielle, celle qui satisfait un besoin irréductible. Dans ces conditions, chaque opérateur qui offre des produits “agrégés” et complexes est mis en demeure de justifier, de légitimer aux yeux des consommateurs son prix, sa valeur ajoutée. Les opérateurs qui y parviendront – en misant notamment sur l’innovation, la qualité de service, le luxe – verront leur crédibilité augmenter, tandis que les autres rejoindront le rang des producteurs de “commodities”. En ce sens, le low cost opère comme un vecteur de polarisation de la valeur.
Le low cost déstabilise également les repères établis, que ce soit en matière de coût de production ou de prix de vente. Dans le court et moyen courrier par exemple, les différences de coûts au siège/kilomètre peuvent être spectaculaires : de 30 à 65 % entre un opérateur classique et une compagnie low cost. Les baisses de prix sont également significatives, même si le low cost aérien peut se révéler parfois “high fare” : dans une étude sur 370 cas d’entrées de compagnies low cost sur le marché américain au cours de la période 1991-2002, Ito & Lee [2003] montrent que les prix des billets low cost sont en moyenne 49,5 % inférieurs à ceux des compagnies installées. Bref, le low cost vient aujourd’hui instaurer un nouveau “benchmark”, à l’aune duquel les performances des opérateurs installés sont désormais évaluées : par une sorte d’inversion des rôles, le low cost devient la norme de référence.
Face à la déferlante low cost, certains “insiders” ont pris d’emblée l’initiative de se positionner sur le créneau du low cost, pour bénéficier d’un avantage de pionnier, à l’image de Renault avec Logan, et plus discrètement, de Société Générale avec Boursorama banque. Quitte à être un peu schizophrène, en offrant à la fois du low cost et du luxe, à l’image d’Accor dans l’hôtellerie… Mais force est de constater que la plupart des opérateurs installés – notamment dans l’aérien – sont encore aujourd’hui à la recherche d’une riposte efficace : faut-il se lancer dans le mimétisme tarifaire, au risque de comprimer les marges ? dans quelle mesure les leviers de baisse de coûts du low cost sont-ils transposables, sans pour autant renoncer à son identité propre ? faut-il se différencier par le haut, au risque de perdre une partie de la clientèle ? ou bien se dédoubler, en créant une filiale low cost …. et faire ainsi mentir l’adage selon lequel « on naît low cost, on ne le devient pas » ?.
La variété des stratégies mises en œuvre aujourd’hui par les leaders historiques témoigne de l’importance qu’a pris le low cost dans le paysage concurrentiel et nous invite à le considérer pour ce qu’il est vraiment : une innovation radicale, une innovation de rupture, qui déstabiliser les équilibres établis et vient redynamiser la concurrence… pour le plus grand profit des consommateurs.
Ito H., Lee D. [2003] « Incumbent responses to lower cost entry : evidence from the US airline industry”, Working paper 2003-22, Brown University, 27 p.
Rupp N., Sayanak T. [2008] “Do low cost carriers provide low quality service ?”, Revista de Analisis Economico, vol. 23, n°1, pp. 3-20