« Les abus sont à la concurrence ce que le dopage est à la compétition sportive » (20 Minutes)

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Emmanuel Combe a été interviewé par 20 Minutes le 25 Février 2010, sur la notion d’abus de position dominante.

 

Les abus sont à la concurrence ce que le dopage est à la compétition sportive

Mercredi, Google a de nouveau été pointé du doigt par trois concurrents qui l’accusent d’abus de position dominante. Qu’est-ce qui se cache derrière ce terme? A quel moment une position dominante peut-elle tomber sous le coup de la loi? Interview avec Emmanuel Combe, professeur à l’université Paris 1 et membre de l’Autorité de la concurrence.

Qu’est-ce qu’une position dominante?

C’est lorsqu’un acteur est largement leader sur son marché. La dominance ne signifie pas forcément que l’on est «gros» en taille ou en chiffre d’affaires mais suppose que l’on peut augmenter durablement les prix, c’est-à-dire vendre un produit ou un service plus cher que ce qu’il nous coûte. C’est «le pouvoir de marché». La position dominante n’est pas répréhensible tant que le marché reste ouvert à la concurrence. C’est un peu comme si on en voulait au vainqueur d’une course qui a vu tous ses participants s’élancer d’un même point de départ.

Quand parle-t-on d’abus?

Lorsqu’une entreprise empêche l’entrée sur le marché de nouveaux acteurs ou qu’elle augmente artificiellement sa domination. Les abus sont à la concurrence ce que le dopage est à la compétition sportive. Il en existe plusieurs: signer un contrat d’exclusivité sur une longue période, comme ce fut le cas pour Orange et Apple avec l’iPhone; contraindre le consommateur par la vente liée; casser les prix pour tuer ses concurrents, c’est ce qu’on appelle pratiquer des «prix prédateurs»; dénigrer ses concurrents ou encore les empêcher d’accéder à une infrastructure essentielle, comme le quai d’une gare, d’un port ou à un réseau par exemple. Seules les entreprises en position dominante sont soumises à ces interdits. Les «petits» du marché peuvent donc y recourir. L’idée est de supprimer tout ce qui augmente artificiellement la position dominante d’une entreprise. Celle-ci ne doit pouvoir compter que sur ses mérites.

Comment évalue-t-on un abus de position dominante?

C’est une procédure lourde et longue. Une enquête est ouverte lors de laquelle des informations sont demandées à l’entreprise visée. Elle dure en moyenne de 2 à 3 ans et peut aboutir à deux issues: un non-lieu si les pratiques d’abus ne sont pas établies ou à des sanctions si elles le sont. Les amendes peuvent aller jusqu’à 10 du chiffre d’affaires mondial de la société (Intel a été condamné à 1,06 milliard d’euros par la Commission européenne en mai 2009, ndlr). En plus, la Cour peut ajouter quelques injonctions, comme la séparation des produits en cas de vente liée ou l’obligation de publier dans la presse sa condamnation. Dans le cas où le plaignant ne peut pas attendre la décision de l’Autorité de la concurrence sans mettre en danger son activité, il peut demander une procédure d’urgence, la mesure conservatoire, pour suspendre rapidement la pratique épinglée.

A qui est versée l’amende?

Une amende sanctionne une atteinte à l’ordre public. Elle est donc reversée à l’Etat, lorsque la procédure est nationale, ou à la Commission européenne. Une fois la condamnation prononcée, les victimes de l’abus de position dominante peuvent toutefois se tourner vers un tribunal civil et réclamer des dommages et intérêts. L’entreprise condamnée paie donc deux fois: l’amende et les dommages.

Un recours est-il possible?

Oui mais il n’est pas suspensif. L’entreprise condamnée doit donc payer son amende en attendant le résultat de son appel. Si l’amende est réduite ou annulée en appel, l’amende est remboursée en totalité ou en partie.

Existe-t-il une autre voie pour les entreprises?

Oui, la procédure d’engagement. Celle-ci permet à l’entreprise de modifier à priori une pratique présumée répréhensible. Si cette pratique n’existe plus, la Commission ne peut plus lui en tenir rigueur et la procédure s’arrête. Cette procédure est l’idéal car elle est plus rapide et règle le problème à la base. Elle contente souvent tout le monde: l’entreprise, qui s’épargne une mauvaise publicité et évite ainsi de reconnaître des griefs à son encontre, et le consommateur qui a l’assurance que le problème d’abus est réglé. C’est une façon pour les entreprises de prendre les devants et de garder la main, mais sous contrôle. Certains engagements pris par l’entreprise peuvent être refusés s’ils sont insuffisants. Acceptés, ils sont surveillés pour s’assurer que l’entreprise ne les viole pas.

Combien d’affaires d’abus de position dominante sont traitées en France chaque année?

En 2007, il y a eu trois sanctions prononcées. On compte aussi 6 à 8 procédures d’engagement par an. Sinon, nous observons surtout des pratiques d’ententes illégales (19 en 2007), qui ne relèvent pas de l’abus de position dominantes.

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