« Relocaliser : oui mais quels produits ? » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié le 15 Juillet 2020 une chronique dans L’Opinion sur les relocalisations, suite à la publication de l’étude PWC.

Relocaliser : oui mais quels produits ?

Le thème de la relocalisation de produits stratégiques s’est imposé dans le débat public, à l’occasion de la crise du Covid-19. Si l’on part du principe que tout relocaliser en France ou en Europe n’est pas une option réaliste, il va falloir faire des choix de produits. Selon quels critères ?

Une étude publiée par le cabinet PWC et le Conseil national des achats vient apporter des éléments de réponse intéressants, en identifiant quatre filières à forte criticité, pour lesquels une relocalisation de la production serait souhaitable : la santé, l’agroalimentaire, l’électronique et les industries de process et d’assemblage. L’intérêt principal de l’étude est de descendre au sein de chaque filière, pour identifier des catégories précises de produits : par exemple, dans le cas de la pharmacie, les médicaments pour le diabète, certains antibiotiques, les vitamines, des substances comme le curare, les robots chirurgiens, les réactifs de diagnostic sont considérés comme prioritaires.

On peut toutefois s’interroger sur la méthodologie utilisée par l’étude pour identifier les produits à relocaliser prioritairement.

En premier lieu, l’étude part d’une analyse des soldes de la balance commerciale française, à partir desquels est construit un indice de « criticité » des importations. L’idée sous-jacente est que plus la part des importations extra-Union européenne est forte et en progression pour un produit, plus nous sommes dans une situation «critique » vis-à-vis de l’extérieur. Cette approche revient à considérer que le fait d’importer massivement un produit nous rend dépendant ; mais la dépendance se définit plutôt comme le fait d’être à la merci d’un seul pays fournisseur (ou d’une seule entreprise) et de ne pouvoir en changer rapidement. Par exemple, en matière de médicaments, importer massivement de Chine ne nous rend pas forcément dépendant si l’on peut remplacer rapidement les importations chinoises par des importations indiennes ou brésiliennes. On peut aussi considérer que l’importation massive de produits ne rend pas dépendant si nous pouvons diversifier nos sources d’approvisionnement. Si l’Europe décidait demain de nouer des contrats de long terme pour l’approvisionnement en masques chirurgicaux avec une dizaine de grandes entreprises implantées dans des pays différents, le risque de dépendance serait assez faible.

En second lieu, l’étude PWC se place prioritairement dans une optique de demande : le fort niveau des importations pour chaque produit témoigne du fait qu’ils sont très consommés en France. Mais il ne suffit pas d’avoir un besoin à satisfaire pour pouvoir relocaliser ; il faut également analyser les conditions d’offre : avons-nous les compétences et la structure de coût adaptée pour pouvoir faire nous-mêmes le produit importé ?

Dans l’électronique, le cas des semi-conducteurs est à cet égard instructif : il s’agit certes de produits essentiels mais, à l’exception de quelques entreprises comme STMicroelectonics, Infineon ou ASML, l’Europe a depuis longtemps cédé le leadership à la Corée du Sud, à Taiwan, au Japon et aux Etats-Unis. Même avec une politique volontariste, revenir dans la course technologique prendra du temps et coûtera très cher ; sans compter que nous risquons d’avoir toujours une bataille de retard. Ne vaut-il pas mieux dans ce cas investir massivement dans des innovations de rupture, plutôt que de vouloir faire à tout prix du rattrapage technologique ?

Emmanuel Combe est professeur à Skema Business School et vice-président de l’Autorité de la concurrence.

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