« Protectionnisme : tu te protèges ? je te contourne ! » (L’Opinion)

0
Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 2 Septembre 2019, sur le contournement direct et indirect du protectionnisme.

 

Protectionnisme : tu te protèges ? je te contourne !

La nouvelle salve de droits de douane annoncés par Donald Trump à l’encontre des importations chinoises risque de faire des victimes parmi les … entreprises américaines, qui font assembler leurs produits en Chine avant de les exporter aux Etats-Unis. Certaines d’entre elles ont toutefois décidé de réagir, en allant s’implanter ailleurs : après Apple, qui va déplacer une partie de sa production d’iPhone de Chine vers le Vietnam et l’Inde, c’est au tour de Google d’annoncer le transfert de sa production de smartphones Pixels et de Google Home vers le Vietnam et la Thaïlande. Quand on empêche les produits de se déplacer, ce sont les usines qui bougent.

Dans le cas de Google et d’Apple, il s’agit d’un contournement indirect, via un pays tiers dont les importations ne sont pas taxées par les Etats-Unis. Ce contournement est d’autant plus aisé que l’activité est peu intense en travail qualifié : il s’agit pour l’essentiel de déplacer des usines tournevis, très intenses en travail peu qualifié, d’un pays émergent à l’autre. Cette stratégie a été observée à de multiples reprises dans le passé : lors de la guerre des panneaux solaires en 2012, les Etats-Unis ont imposé des droits antidumping à l’encontre des producteurs chinois ; ces derniers ont aussitôt réagi en implantant leurs usines dans des pays tiers. Résultat : en 2018, près de 60% des importations américaines de panneaux solaires viennent de Malaisie, de Corée du Sud ou du Vietnam. Les Américains importent toujours autant de panneaux solaires qu’auparavant, sans percevoir les taxes douanières anticipées. Objectif doublement raté.

Tariff jumping. Une autre stratégie, plus offensive, consiste pour les entreprises à s’implanter directement dans le pays qui se protège. Cette stratégie de « tariff jumping » est surtout mise en œuvre par des entreprises de pays émergents. Elle est d’autant plus probable que l’activité déplacée nécessite peu de main d’œuvre, compte tenu du coût du travail dans les pays riches : il s’agit pour l’essentiel d’usines d’assemblage. Une telle stratégie de contournement direct a été récemment observée aux Etats-Unis : en février 2018, suite à la mise en place de taxes de 30 % sur les importations de panneaux solaires en provenance de Chine, l’un des leaders chinois du secteur, JinkoSolar, a annoncé qu’il allait implanter une unité de production sur le sol américain. On pourrait objecter que le «tariff jumping » a le mérite de créer des emplois localement ; en réalité, les unités d’assemblage sont ultra-automatisées et nécessitent peu de main d’œuvre, tandis que le transfert de compétences et de technologies est quasi inexistant.

Pire encore : l’implantation d’un concurrent étranger sur le marché domestique lui permet de mieux connaître le marché local et le rend encore plus redoutable. C’est exactement ce qui s’est passé aux Etats-Unis durant les années 1980 : sous la pression d’Harley Davidson, les Américains ont mis en place des quotas sur les importations de motos japonaises. Honda et Kawasaki ont réagi en augmentant leur présence sur le sol américain, conduisant à une concurrence accrue avec … Harley Davidson. Ironie du sort : c’est Harley Davidson elle-même qui demandera la levée des mesures protectionnistes en 1987, voyant la part de marché des Japonais progresser trop rapidement aux Etats-Unis.

Moralité : le protectionnisme est une politique qui ne produit souvent pas les effets espérés et peut même engendrer de nombreux effets pervers. Il faut donc y recourir avec prudence et parcimonie. Tout l’inverse de ce que fait Donald Trump.

Emmanuel Combe est vice-président de l’Autorité de la concurrence, professeur à Skema Business School.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici