« Suppression des lignes aériennes domestiques : où est la concurrence ? »(Les Echos)

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Emmanuel Combe a publié le 17 Juillet 2020 une tribune avec Paul Chiambaretto dans Les Echos, sur l’impact concurrentiel d’une fermeture de certaines lignes aériennes domestiques.

 

Suppression des lignes aériennes domestiques : où est la concurrence ?

Présenté comme une contrepartie environnementale aux prêts reçus par Air France, l’arrêt des lignes aériennes domestiques pour lesquelles existe une alternative ferroviaire de moins de 2 h 30 conduit à la suppression d’un mode de transport concurrent du TGV : l’avion. Le gain environnemental d’une telle restriction compensera-t-il l’atteinte possible à la concurrence et au choix du consommateur ? A vrai dire, la question n’a pas été posée en ces termes jusqu’ici, faute d’une véritable analyse coût/bénéfices.

Du côté des bénéfices, l’arrêt des trois lignes aériennes Bordeaux-Paris, Lyon-Paris et Nantes-Paris, opérées principalement par Air France, aura pour effet de réduire les émissions de gaz à effet de serre. De combien ? Sur la base du calculateur de la Direction générale de l’aviation civile, on peut estimer que la baisse annuelle des émissions sera de l’ordre de 63.000 tonnes, sur un total des émissions de la France de 441 millions de tonnes en 2019. Le bénéfice environnemental représente donc 0,014 % des émissions totales françaises et 0,046 % des émissions totales du secteur des transports.

Ce gain paraît donc de prime abord bien maigre en valeur absolue. Il pourrait également être altéré par le fait qu’une partie des clients de l’avion vont se reporter sur la voiture ou le car, au lieu du train dont les prix pourraient augmenter.

Qu’en est-il du coût résultant de la réduction de la concurrence ? L’interdiction s’impose également aux nouveaux entrants dans l’aérien et revient donc à supprimer une alternative au TGV. On peut donc craindre un impact négatif pour les consommateurs, notamment aux heures et périodes de pointe, et ce pour au moins trois raisons.

Tout d’abord, il existe bien un certain degré de substituabilité entre le train et l’avion, à l’image de ce qui apparaît pendant les grèves d’Air France ou de la SNCF, entraînant à chaque fois un report partiel de la demande sur l’autre mode de transport. Ensuite, même si la situation peut évoluer à la faveur de l’ouverture du rail à la concurrence à la fin de 2020, la SNCF est pour l’heure le seul opérateur ferroviaire à grande vitesse sur les lignes concernées. Enfin, si certaines lignes à grande vitesse sont déjà proches de la saturation (en particulier entre Lyon et Paris), il paraît difficile d’augmenter les capacités du transport ferroviaire sur une ligne comme Bordeaux-Paris pour absorber les 520.000 passagers annuels qui optent pour l’avion. A offre constante, le report d’une partie de la demande de l’avion vers le train risque donc de se traduire par des hausses de prix. De plus, la hausse du prix va venir rationner la demande et avoir ainsi des effets antiredistributifs, en pénalisant les citoyens les moins aisés.

Sous son apparence anecdotique, la décision d’interdiction des vols soulève donc des enjeux majeurs. Ces enjeux ne peuvent être traités par le droit de la concurrence : il n’y a pas de pratique anticoncurrentielle puisqu’il ne s’agit pas d’une décision d’entreprise.

Il faut donc s’en remettre au règlement européen 1008/2008 et à son article 20, qui autorise sous conditions un Etat membre à limiter ou refuser des droits de trafic, pour remédier à des « problèmes graves en matière d’environnement ». Outre la gravité, le règlement énonce que la restriction doit être limitée dans le temps et qu’elle ne doit pas aller au-delà du nécessaire.

Jusqu’où est-on prêt à priver une partie de la population de l’accès à certains biens pour protéger l’environnement ? Il est important de répondre à cette question en procédant à une évaluation des gains et des coûts, tant économiques qu’environnementaux, d’une mesure d’interdiction, surtout si elle venait à se généraliser à d’autres lignes aériennes ou à d’autres marchés. Faute de quoi, le risque est que, demain, au nom de l’impératif environnemental, on prenne des décisions inefficaces et liberticides pour les consommateurs comme pour les citoyens.

Paul Chiambaretto, professeur à Montpellier Business School, est directeur de la Chaire Pégase. Emmanuel Combe, professeur à Skema Business School, est vice-président de l’Autorité de la concurrence.

 

 

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