Air France-KLM vient d’annoncer une perte nette de plus de 1,55 milliard d’euros pour 2009-2010, la plus importante de son histoire. Ce mauvais résultat a d’abord pour origine des facteurs conjoncturels, externes à la compagnie. Mais la conjoncture ne saurait dispenser d’un questionnement plus structurel, notamment la concurrence du « low cost » sur le court et moyen-courrier.

Face aux « low cost », dont la rentabilité dépend d’abord de la capacité à atteindre la taille critique, la réactivité constitue la première des armes. En effet, une fois implanté sur une « base », le « low cost » – économies d’échelle oblige – étend rapidement son emprise sur un nombre croissant de destinations, en ouvrant de nouvelles lignes. Force est de constater qu’Air France, sans doute handicapé par sa grande taille, a tardé avant de réagir. A titre anecdotique, l’auteur de ces lignes, qui a participé au rapport Beigbeder sur le low-cost en 2007, constatait, il y a trois ans déjà, à quel point la menace « low cost » était sous-estimée par les compagnies aériennes. Ayant enfin pris conscience du danger, Air France a décidé aujourd’hui d’organiser la riposte.

Premier levier : la réorganisation du modèle économique court et moyen-courrier, avec le programme New Economic Offer, entré en vigueur depuis peu. Densification du nombre de sièges, réduction du service à bord, services en option payante, prix d’appel sur les premiers billets, etc… Bref, Air France-KLM injecte une dose de « low cost » dans son modèle, pourtant aux antipodes du « low cost ». En appliquant des demi-mesures, Air France fait donc le pari que les clients suivront, disposés à payer un peu plus cher leur billet, plutôt que de voyager sur un vrai « low cost ». Un peu plus cher oui, mais en échange de quoi ? Commençons par ce qui n’est pas négociable aux yeux des clients : la sécurité des vols ; difficile en la matière de montrer du doigt les grandes compagnies « low cost » européennes, qui n’ont jamais connu d’accident fatal. La ponctualité des vols ? Les « low cost » sont réputés pour partir et arriver à l’heure, n’ayant pas à subir les contraintes de « hub » et des correspondances. Le prestige de la marque ? Force est de constater que les clients réservent davantage leurs faveurs aujourd’hui aux sacs de luxe et aux iPhone plutôt qu’aux billets d’avion, perçus sur le court et moyen-courrier comme une simple « commodité ». La fréquence des vols ? Elle concerne surtout la clientèle affaire et les « low cost » s’y mettent aussi sur les lignes les plus fréquentées. Restent deux fondamentaux : la garantie des correspondances et les points de fidélité. Cela suffira-t-il pour retenir les clients ?

Deuxième arme : le droit. Air France-KLM a engagé une bataille juridique à l’encontre de compagnies comme Ryanair, accusées de prospérer sur le dos des contribuables. Une hypothétique condamnation de Ryanair, après celle pour « travail dissimulé » et pour violation des obligations d’assistance aux passagers, permettra de marquer des points supplémentaires dans la bataille de l’image. Mais elle ne suffira pas à marginaliser le « low cost », dont la rentabilité ne se réduit pas à une chasse aux subventions auprès des aéroports régionaux. Notons d’ailleurs que Ryanair, qui n’est pas présent sur le « hub » parisien, ne constitue pas à l’évidence le rival le plus redoutable pour Air France.

Troisième arme : le dédoublement. Au travers de sa « low cost » Transavia.com, Air France-KLM s’est lancé sur le segment du « low cost » depuis 2005. A vrai dire, les expériences passées ont été jusqu’ici peu concluantes, à l’exception de Qantas qui a ciblé très tôt son marché domestique avec sa filiale « low cost » Jetstar Airways… pour contrer la « low cost » Virgin Blue. Se dédoubler, c’est une manière d’esquiver et de repousser les problèmes, qui ne tardent pas à revenir à la surface : comment articuler une greffe « low cost » sur un corps qui n’y a pas été préparé, sans susciter la méfiance, voire le rejet ? Le dédoublement butte très vite sur l’épineuse question du chevauchement des lignes, sauf à cantonner la filiale « low cost » sur des destinations non concurrentes, ce qui revient à brider son développement et sa capacité de réaction.

L’issue de la guerre entre Air France et les majors du « low cost » n’est certes pas encore scellée. Mais pour se donner toutes les chances de l’emporter, encore faut-il prendre toute la mesure de ce qui se joue dans le ciel européen depuis dix ans : rien moins qu’une révolution, celle du « low cost ». Face à une innovation radicale, qui bouleverse les équilibres établis et les « business model », l’expérience montre que les grandes organisations sont par nature résilientes et procèdent par ajustements à la marge, par demi-mesures. Mais l’adaptation n’est pas la révolution : pour rester le leader européen de l’aérien, Air France-KLM n’aura sans doute pas d’autre choix que de réinventer son modèle économique, au moins sur le court et moyen-courrier.

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