« Oui au fédéralisme budgétaire, mais pas à sens unique » (L’Opinion)

Emmanuel Combe a publié le 22 Juillet une chronique dans L’Opinion sur la naissance du fédéralisme budgétaire en Europe.

 

Oui au fédéralisme budgétaire, mais pas à sens unique

« Si la crise sanitaire du Covid-19 constitue bien au départ un choc symétrique, ses conséquences économiques sont quant à elles asymétriques entre pays d’Europe »

750 milliards d’euros : après cinq jours d’âpres négociations, l’Union européenne vient de s’accorder sur un plan de relance commun, composé de 390 milliards de subventions et de 360 milliards de prêts. L’Europe vient ainsi de franchir un pas décisif dans sa marche vers le fédéralisme budgétaire. Pour bien comprendre l’enjeu d’un tel accord, il est intéressant de revenir sur la célèbre théorie des zones monétaires optimales, développée il y a soixante ans par l’économiste Robert Mundell.

L’idée de départ est relativement simple : lorsque plusieurs pays décident d’adopter la même monnaie, comme c’est le cas au sein de la zone euro, ils renoncent par définition à leur propre politique monétaire et de change. Ce renoncement n’est pas très coûteux lorsque les membres de l’Union monétaire font face à des chocs symétriques. En revanche, si les chocs sont asymétriques, un pays qui adhère à une union monétaire se prive d’une arme de relance, à savoir la dévaluation de sa propre monnaie.

A cet égard, si la crise sanitaire du Covid-19 constitue bien au départ un choc symétrique, ses conséquences économiques sont quant à elles asymétriques entre pays d’Europe. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les prévisions de récession de la Commission pour l’année 2020, qui oscillent entre – 11,2 % pour l’Italie et – 5,3 % pour la Suède.

Face à un choc asymétrique, les membres d’une Union monétaire doivent donc trouver un mécanisme d’ajustement autre que la dévaluation de leur propre monnaie.

Un premier mécanisme pourrait être la mobilité des travailleurs : ceux résidant dans les pays à fort taux de chômage iraient chercher du travail dans d’autres pays européens, en meilleure santé. Dit de manière imagée, les Italiens iraient massivement travailler aux Pays-Bas ou en Allemagne. Ce mécanisme de rééquilibrage existe entre les états des Etats-Unis, mais pas en Europe, où les migrations de main-d’œuvre sont structurellement faibles.

Un second mécanisme consisterait pour les pays touchés par la récession à baisser les salaires et les prix, pour redevenir compétitif et stimuler leurs exportations. Cette flexibilité à la baisse existe peu en pratique, surtout dans les pays du Sud de l’Europe.

Il reste un troisième instrument : bénéficier de transferts budgétaires massifs, en provenance des pays de l’Union qui se portent mieux. Cela s’appelle le fédéralisme budgétaire. Il est incarné aujourd’hui par les 390 milliards de subventions du plan de relance européen. Compte tenu de l’insuffisance actuelle des ressources propres de l’Union européenne – la taxe aux frontières n’étant pas pour demain —, ce sont bien les citoyens de certains pays d’Europe qui paieront avec leurs impôts les subventions accordées à d’autres pays. Il n’est donc guère surprenant que ceux qui paient exigent des efforts de la part des bénéficiaires de l’aide reçue, sous la forme de réformes structurelles. Le fédéralisme budgétaire ne fonctionnera à long terme que si la solidarité entre pays d’Europe n’est pas à sens unique. Il ne doit pas être détourné de son objectif initial – amortir un choc asymétrique — pour devenir en pratique un mécanisme de subventions perpétuelles et unilatérales des pays du Nord… vers les pays du Sud.

Emmanuel Combe est professeur à Skema Business School et vice-président de l’Autorité de la concurrence.

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