Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 1er Mars 2016 sur la culture économique en France.
Et la culture économique alors ?
Entre 1975 et 2012, la France a vu son PIB par habitant progresser moins vite que la moyenne des pays de l’OCDE. Si cette piètre performance s’explique d’abord par des facteurs tels que le ralentissement de la productivité ou le faible taux d’activité, la culture économique de nos décideurs politiques a sans doute joué un rôle.
Constatons d’emblée qu’à l’exception de Raymond Barre et Dominique Strauss-Kahn, nos dirigeants sont rarement des experts de l’économie. L’enseignement qu’ils ont reçu a consisté pour l’essentiel à apprendre à « piloter » la conjoncture, en maniant avec dextérité l’arme budgétaire et fiscale : la « macroéconomie keynésienne » a été pendant longtemps la doctrine indépassable sur les bancs des écoles du pouvoir. Cette approche a fait sens durant les Trente Glorieuses : les rails de la croissance étaient tout tracés puisqu’il s’agissait de rattraper la productivité américaine et d’imiter des technologies existantes. Le pilotage conjoncturel consistait alors à ajuster la dépense publique au cycle d’activité. Si les Trente Glorieuses sont depuis longtemps révolues, les réflexes de nos décideurs politiques en matière économique n’ont pourtant pas vraiment changé.
Premier réflexe : agir en économie, c’est avoir en permanence la main sur la manette des commandes, en particulier pour dégainer l’arme budgétaire. Tout problème trouve sa solution dans une nouvelle dépense ou un nouvel impôt. Mais cet activisme conjoncturel, qui conduit aujourd’hui à des dépenses publiques représentant 57,5 % du PIB, a eu pour corollaire l’immobilisme sur le front des réformes structurelles : ainsi, les milliards d’euros déversés depuis 30 ans dans le traitement social du chômage ou l’éducation prioritaire ont permis d’éviter jusqu’ici la remise à plat de notre Code du travail ou toute réforme ambitieuse de notre système éducatif. Plus grave, ce biais conjoncturel des politiques économiques a conduit souvent à des changements de cap, au gré des événements et revendications du moment, alors que la croissance se nourrit d’abord de stabilité et de visibilité. En économie, l’activisme tue l’action.
Intendance. Second réflexe : l’Etat décide et l’intendance – c’est-à-dire les millions d’acteurs de l’économie – suit. Mais c’est oublier que les entreprises, travailleurs et consommateurs ne sont pas des pions mais des êtres rationnels qui réagissent aux mesures gouvernementales en adaptant leur comportement… au risque d’aboutir parfois à l’effet inverse de celui recherché ! La microéconomie, discipline peu connue de nos décideurs politiques, nous apprend qu’il ne faut jamais sous-estimer l’ampleur et la complexité des effets cachés, pervers ou d’aubaine, lorsqu’une nouvelle mesure est prise. Notre politique du logement en est l’illustration : en gérant depuis trente ans la pénurie par la contrainte et les niches fiscales, on n’a fait que l’entretenir, en décourageant les investisseurs de construire des logements dans les zones tendues. En économie, l’action publique peut tuer les incitations privées.
Si nous voulons que la France se réforme vraiment, il est sans doute souhaitable que nos élites politiques fassent d’abord la révolution… dans leur culture économique.