« Shrinkflation : attention à l’effet boomerang ! » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié une chronique dans L’Opinion le 11 Septembre 2023.

Shrinkflation : attention à l’effet boomerang !

A l’heure où la forte inflation sur les produits alimentaires inquiète les Français, un nouveau terme a fait son apparition dans le langage courant : la « shrinkflation ». Ce terme désigne une réalité très prosaïque : lorsqu’ils font face à une hausse du coût de leurs intrants – et notamment des matières premières et agricoles –, les industriels peuvent choisir de réduire la taille ou le poids de leurs produits plutôt que d’en augmenter le prix de vente. Cette pratique revient en réalité à accroître le prix au kilo, sans vraiment le dire. Une sorte d’inflation masquée.

Cette pratique n’a rien de nouveau. Une étude du BLS – l’équivalent américain de l’Insee – a montré qu’au cours de la période 2015/2021, les révisions à la baisse (ou à la hausse) de la taille des produits était assez fréquente dans les produits ménagers comme le papier toilette, mais aussi dans l’alimentation pour bébé, les snacks ou les paquets de gâteaux.

Toutefois, lorsque l’on raisonne au niveau global, cette pratique reste limitée : elle porte sur environ 3 % des prix observés. De plus, son impact sur l’inflation semble assez négligeable : lorsque le BLS intègre dans l’indice des prix les modifications de taille des produits, la « shrinkflation » conduit à rehausser l’inflation de 0,01% par an. Bref, ce n’est pas un véritable sujet au plan macro-économique.

Biais. En revanche, la pratique de « shrinkflation » interroge au niveau microéconomique : pourquoi une entreprise préfère-t-elle réduire la taille d’une barre chocolatée plutôt que d’en augmenter le prix, sans modifier la quantité ? Pour répondre à cette question, il faut se tourner du côté du comportement du consommateur. Normalement, nous devrions réagir de la même manière à une hausse du prix ou à une baisse de la quantité (sans changement de prix) dès lors que le prix au kilo a augmenté de manière identique.

Mais en pratique, cela ne se passe pas comme cela : nous sommes moins attentifs à une réduction de la quantité qu’à une augmentation du prix. Ainsi, une étude empirique sur la ville de Chicago a montré que les consommateurs étaient quatre fois plus sensibles à la hausse du prix de la crème glacée qu’à la baisse de la taille du récipient dans lequel elle se trouve. Cela s’explique par le fait que nous avons tous un biais de « disponibilité », consistant à nous centrer sur un paramètre visible et à négliger tous les autres, moins visibles.

Dans le cas des courses du quotidien, nous focalisons l’essentiel de notre attention, faute de temps et par habitude, sur le prix affiché dans le rayon et non sur le prix unitaire ou sur la liste détaillée des ingrédients d’un produit.

Il est donc tentant pour un industriel, confronté à une hausse de ses coûts de production, de faire de la « shrinkflation » : cela passera inaperçu pour la majorité des consommateurs. Mais gare au retour de bâton. L’économie comportementale montre aussi que les consommateurs ont une « aversion à l’iniquité », qui peut les conduire à sacrifier une partie de leur gain au nom d’un sentiment d’injustice.

Ainsi, s’ils s’aperçoivent qu’ils ont été trompés par leur marque préférée, les consommateurs pourraient décider de la punir, en se tournant vers… une marque concurrente, pourtant moins désirée. Moralité : la pratique de shrinkflation peut devenir un jeu dangereux pour les industriels eux-mêmes.

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