« Revente à perte : le spectre du prix prédateur » (L’Opinion)

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Hand is turning a dice and changes the direction of an arrow symbolizing that the price is going down (or vice versa)

Emmanuel Combe a publié le 22 Septembre 2023 une chronique dans L’Opinion sur la revente à perte.

Revente à perte : le spectre du « prix prédateur »

 

Autoriser temporairement la revente à perte de l’essence, au nom du pouvoir d’achat : voilà une récente annonce du gouvernement qui n’est pas passée inaperçue. Sans doute parce qu’elle remet en cause une interdiction vieille de… 60 ans. Sans doute aussi parce qu’elle fait ressurgir le spectre du « prix prédateur ». Mais de quoi parle-t-on exactement lorsque l’on évoque cette notion ?

Le prix prédateur consiste pour une entreprise à casser temporairement un prix, dans le but d’éliminer un concurrent, pour ensuite remonter durablement le prix. Il s’agit donc d’une stratégie consistant à investir dans son propre pouvoir de marché : l’entreprise prédatrice perd temporairement de l’argent pour en gagner durablement plus demain. Pour être couronnée de succès, cette stratégie suppose que trois conditions cumulatives soient réunies.

Première condition : l’entreprise doit être en position dominante sur son marché. En effet, il est peu probable qu’une entreprise disposant d’une faible part de marché puisse éliminer ses concurrents : le coût de la prédation serait trop élevé pour elle.

Seconde condition : une fois que la victime est sortie du marché, l’entreprise prédatrice doit pouvoir augmenter le prix, afin de récupérer ses pertes. Tout va dépendre de l’ampleur des barrières à l’entrée. Si un nouveau concurrent ou même la « victime » peuvent entrer (ou revenir) facilement sur le marché, la stratégie du prédateur sera mise en échec. A l’inverse, il sera difficile pour la victime de revenir si la sortie lui fait perdre son expérience ; le prédateur pourra alors augmenter durablement les prix.

Troisième condition : il doit exister une asymétrie financière entre le prédateur et sa victime. En effet, si la victime n’a pas les reins solides, il sera plus facile et rapide pour le prédateur de la «sortir » du marché. On peut par exemple songer à une situation dans laquelle l’entreprise prédatrice est multinationale ou multiproduits, alors que la victime est une entreprise locale ou mono-produit.

Ajoutons à cela qu’en droit de la concurrence, les prix prédateurs tombent sous le coup de l’abus de position dominante ; les sanctions peuvent être sevères. A titre d’exemple, la Commission a infligé en 2019 à Qualcomm 242 milllions d’euros pour avoir vendu ses puces pour téléphones à un prix prédateur, marginalisant ainsi son concurrent Icera.

Autant dire que le succès d’une stratégie de prix prédateurs n’a rien d’automatique et qu’il s’agit d’une pratique risquée sur le plan juridique.

A contrario, la revente à perte, lorsqu’elle n’est pas motivée par la prédation, pourrait constituer une pratique commerciale utile. Par exemple, lorsqu’un distributeur vend deux biens complémentaires, il pourrait être rationnel de vendre à perte le premier pour stimuler les ventes du second, sur lequel il réalise une plus forte marge. De même, la revente à perte temporaire pourrait être un moyen efficace de lancer sur le marché un nouveau produit, en signalant aux consommateurs sa qualité.

En résumé, si le spectre des « prix prédateurs » doit être pris au sérieux, il ne doit pas être surestimé au point de devenir le seul argument de débat sur la revente à perte.

 

 

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