« Marché pertinent : une évolution mais pas de révolution » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié le 20 Février 2024 une chronique dans L’Opinion sur le marché pertinent.

Marché pertinent : une évolution mais pas de révolution

La Commission Européenne vient de publier ses nouvelles lignes directrices sur le « marché pertinent », les dernières en date remontant à 1997. Rappelons que la délimitation du marché pertinent constitue un sujet d’importance en matière de politique de la concurrence. Tout d’abord, avant de condamner une entreprise pour abus de position dominante, la Commission doit démontrer que l’entreprise est en position dominante sur un marché. Cela suppose d’en délimiter les contours, que ce soit en termes de produits ou de géographie. La Commission procède de la même manière lorsqu’elle contrôle une fusion-acquisition.

En matière de marché pertinent, la notion cardinale est celle de substituabilité de la demande : deux produits appartiennent au même marché s’ils sont substituables entre eux. Les nouvelles lignes directrices apportent plusieurs précisions sur les critères pris en compte pour délimiter les contours d’un marché pertinent.

En premier lieu, il faut davantage tenir compte du comportement concret des consommateurs. Par exemple, même s’il existe d’autres produits semblables sur le marché, les consommateurs peuvent être rétifs à changer de produit, dès lors qu’ils doivent supporter des coûts de transfert : apprendre à utiliser un nouveau produit, perdre l’interopérabilité ou le bénéfice d’effets de réseau. Ces comportements d’inertie peuvent jouer un rôle important sur les marchés numériques et conduire à une définition assez étroite des marchés.

En second lieu, l’innovation doit être mieux prise en compte dans l’analyse du marché pertinent. Par exemple, un produit qui est à un stade avancé de son développement peut être intégré à un marché pertinent de produits déjà existants, dès lors que son lancement sur le marché est imminent. A l’inverse, lorsqu’il n’existe pas encore de produits sur le marché, il peut être utile d’identifier un marché pertinent de la recherche-développement. Ainsi, dans l’affaire Dow/Du Pont, la Commission a identifié des « espaces d’innovation » dans le domaine des herbicides, insecticides et fongicides, sur lesquels les deux entreprises se font concurrence en recherche. Elle s’est inquiétée, qu’à l’issue de l’opération, les deux entreprises ne réduisent leurs efforts d’innovation, toute concurrence ayant disparu.

En troisième lieu, les spécificités de l’économie des plateformes doivent être mieux prises en compte. En particulier, les plateformes se caractérisent par le fait qu’elles mettent en relation au moins deux groupes d’utilisateurs différents : un groupe qui paie, tandis que l’autre dispose d’un accès gratuit, à l’image des réseaux sociaux dont l’accès est gratuit pour les internautes mais payant pour les annonceurs. Toute la question est de savoir s’il faut définir deux marchés distincts ou considérer que l’un est intrinsèquement lié à l’autre, ce qui fait que les deux faces ne constituent en réalité qu’un seul et même marché.

Ces nouvelles lignes directrices ont le mérite de mettre à jour le logiciel de la Commission sur un sujet crucial pour les entreprises qui fusionnent ou sont poursuivies pour des pratiques d’abus de position dominante. Une évolution  certes bienvenue, mais pas pour autant une révolution.

 

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