Emmanuel Combe a publié une chronique dans L’Opinion le 28 Février 2023 sur la taxe et la carte carbone.
Climat : la taxe ou la carte ?
En matière de réchauffement climatique, les semaines passent et se ressemblent : les études statistiques montrent qu’il n’y a toujours pas de véritable inflexion dans la trajectoire des émissions carbone au niveau mondial. Dans un tel contexte, il est utile de réfléchir aux différentes solutions qui permettraient de les baisser rapidement. A l’évidence, la bonne volonté et l’innovation technologique, si elles sont nécessaires, ne suffiront peut être pas. Si l’on veut diminuer significativement les émissions, il faudra aller plus loin et rationner la pollution. En économie, il n’existe pas mille façons de rationner mais deux : par les quantités ou par les prix.
Le rationnement par les quantités consiste à limiter directement le niveau de pollution autorisé, en attribuant des quotas d’émission, tout en laissant une certaine flexibilité dans leur répartition. Ce système existe déjà pour les entreprises au niveau européen avec le marché des « permis négociables ». Dans le cas des particuliers, un tel système n’existe pas encore ; il prendrait la forme d’une « carte carbone » attribuée à chaque individu, libre à lui d’utiliser son quota, de le revendre ou d’acheter des crédits carbone. Cet instrument, que nous avons analysé dans une précédente chronique, suscite souvent de vives critiques.
La première critique est que la carte carbone conduit à une forme de contrôle social sur la vie de chaque individu. Si l’on veut éviter cet écueil, il faut alors privilégier un instrument qui préserve l’anonymat de chacun. Cet instrument porte un nom : la taxe carbone. Il consiste à effectuer un rationnement par les prix. Le problème est qu’en France son acceptabilité politique est faible. Tout d’abord, la taxe carbone est vécue comme une « ponction » fiscale supplémentaire. De plus, elle pèse proportionnellement plus sur les ménages à bas revenus. A la suite de l’épisode des Gilets jaunes, il est même devenu politiquement explosif de s’engager sur une trajectoire de hausse de la taxe carbone.
La seconde critique est que la carte carbone est injuste : les riches pourront continuer à polluer puisqu’il leur suffira d’acheter des droits à polluer aux personnes qui ne les ont pas utilisés. Pour lever cette critique, une version plus radicale de la carte carbone vient d’être proposée par Wood & alii : chaque individu se verrait attribuer une quantité d’émission, sans possibilité d’échanges. Selon ces auteurs, une telle carte serait plus facilement acceptée parce qu’elle satisfait un sentiment égalitariste : puisque le réchauffement climatique est l’affaire de tous, chacun doit avoir le même crédit, sans aucun passe-droit via un marché d’échanges. Les auteurs font un parallèle avec le rationnement de la nourriture durant la Seconde Guerre mondiale au Royaume-Uni : il a été accepté par la population parce qu’il était égalitaire. La carte non échangeable prive toutefois les personnes qui le souhaiteraient de revendre leurs droits, ce qui est économiquement inefficace. De plus, elle risque d’alimenter un marché noir.
Nous voyons que ni la taxe ni la carte ne sont des instruments parfaits pour réduire les émissions. Il existe également d’autres instruments importants pour lutter contre le réchauffement climatique, tels que la politique industrielle verte et l’innovation verte. Mais une chose est certaine : si nous devons rationner demain les émissions individuelles, nous devrons choisir entre le rationnement par les prix ou par les quantités. C’est-à-dire entre la taxe carbone et la carte carbone.