Emmanuel Combe a été interviewé par L’Opinion le 10 Février 2022, à l’occasion de la sortie de son livre « Chroniques (décalées) d’un économiste ».
Mondialisation, souveraineté, protectionnisme, déficits, fiscalité verte… : les vérités d’un libéral
Chroniqueur à l’Opinion, Emmanuel Combe publie aux éditions Concurrences le second volume de ses tribunes économiques. Comme à son habitude, avec pédagogie, il y remet les pendules (libérales) à l’heure… Dans sa préface, Anne Méaux, présidente et fondatrice d’Image 7, note : « Dans un contexte fait d’inquiétude ou de morosité, ce recueil est avant tout un manifeste pour l’optimisme. Il ne s’agit pas d’une galerie d’incantations béates en faveur d’un avenir sublimé par principe. Ce livre est un remède contre les idées reçues, la démarche volontaire d’un expert aux yeux grand-ouverts sur la réalité. […] L’auteur nous ramène sans cesse à une idée simple: seule la liberté donne une perspective à notre humanité. » La preuve par cette contribution de présentation…
« Ma conviction forte est que la science économique reste un outil puissant pour comprendre notre monde actuel. Elle invite à considérer tous les effets des décisions de politique publique ou d’entreprises : ceux qui sont visibles et ceux qui le sont moins. Elle permet de mettre au jour ce que l’on ne voit pas toujours au premier regard. Elle est surtout un formidable antidote aux idées toutes faites, divulguées par les prophètes du « y a qu’a, faut qu’on ». Elle invite à la nuance et la prudence.
La mondialisation. A propos de la mondialisation, on nous a annoncé pendant la crise de la Covid la fin des chaînes de valeur globale. Pourtant,la grande relocalisation annoncée n’a pas eu lieu. Ceci s’explique par le fait que la crise de la Covid, aussi violente soit-elle, n’a pas remis fondamentalement en cause l’intérêt de la division internationale des tâches : chaque pays, chaque entreprise aura toujours intérêt demain, sur une base mondiale ou régionale, à se spécialiser dans ce qu’il sait faire le mieux. La fin de la mondialisation n’est pas pour demain.
Le retour au protectionnisme. Comme politique généralisée, le protectionnismene marche clairement pas. Pas plus aujourd’hui qu’hier. Ainsi, la politique de Donald Trump n’a pas permis de favoriser la production et l’emploi domestiques américains. Les mesures protectionnistes ont été contournées par les exportateurs étrangers, via des pays tiers dont les importations n’étaient pas taxées par les Etats-Unis. Plus encore, le protectionnisme a débouché rapidement sur une guerre commerciale : il était naïf de penser que le partenaire chinois allait rester les bras croisés. Les producteurs de soja américains qui exportent vers la Chine l’ont appris à leurs dépens. Le protectionnisme est aussi coûteux pour le pays qui le met en œuvre : une étude économique sur le secteur des machines à laver, lourdement taxées à l’importation, a conclu que l’addition avait été salée pour les consommateurs américains, sans que beaucoup d’emplois n’aient été finalement sauvés.
La « souveraineté économique ». A nouveau, prudence et discernement. Tout dépend ce que l’on met derrière ce terme. S’il s’agit de mieux contrôler les investissements étrangers lorsque les intérêts stratégiques du pays sont en jeu, en particulier en matière de sécurité nationale, pourquoi pas. Mais une telle politique ne doit pas devenir un prétexte à un interventionnisme généralisé et discrétionnaire. Même chose avecles relocalisations ; il peut être judicieux de favoriser la relocalisation de quelques productions ciblées mais à condition, à nouveau, de se doter d’une doctrine claire : quel objectif voulons-nous poursuivre ? Si le but est par exemple de ne plus être captif d’une seule source d’approvisionnement étrangère, alors il suffit de diversifier nos importations. S’il s’agit de disposer de réserves, alors il suffit de constituer des stocks stratégiques.
Vertus de la concurrence. La concurrence est trop souvent réduite à une question de pouvoir d’achat ; mais en réalité, elle constitue surtout un ingrédient essentiel de croissance économique, en stimulant la productivité et l’innovation. Les réformes concurrentielles sont toutefois difficiles à mettre en œuvre car elles heurtent l’intérêt de ceux qui détiennent une rente de rareté. De plus, il est illusoire de penser que la concurrence s’entretient d’elle-même sur un marché : elle a besoin d’un cadre – le fameux « same level playing field » – et d’un arbitre, la politique de concurrence, qui sort le carton rouge lorsque les entreprises se livrent à des pratiques anti-concurrentielles. A cet égard, les Etats-Unis paient aujourd’hui le prix fort de leur mise en sommeil de leur politique antitrust : concentration excessive des marchés, prix trop élevés, salaires trop faibles, une innovation bridée.
On ne luttera pas d’abord contre le réchauffement climatique par des engagements, des bons sentiments ou même des interdictions. Il faut surtout miser sur les incitations via des taxes et des subventions
La transition climatique « sans douleur ». Je suis très critique sur ce concept. On ne luttera pas d’abord contre le réchauffement climatique par des engagements, des bons sentiments ou même des interdictions. Il faut surtout miser sur les incitations via des taxes et des subventions. A cet égard, l’analyse économique fournit une solution simple et efficace pour modifier nos comportements de manière vertueuse : donner un prix à la pollution, en instaurant la fameuse « taxe carbone ».
La fiscalité carbone, mal acceptée par l’opinion publique. Le cas de la France est à cet égard révélateur : depuis la révolte des Gilets Jaunes en 2019, toute velléité de relever le niveau de la taxe carbone est vouée à un échec certain. Mais cela ne disqualifie pas pour autant la taxe carbone dans son principe. Cela invite à réfléchir à sa mise en œuvre : elle doit être accompagnée par des mesures de compensation, en faveur des perdants. En clair, il faut faire aussi de l’économie politique.
La fin de la croissance ? La croissance économique n’est pas un long fleuve tranquille : elle prend la forme de vagues d’innovations qui viennent relancer la productivité et l’emploi, en se diffusant à toute l’économie. Ce processus de « destruction créatrice » se manifeste par l’entrée de nouveaux acteurs, que l’on ne voit pas vraiment venir et qui vont s’affranchir de l’existant. Mais pour que l’innovation technologique puisse délivrer demain tout son potentiel en termes de croissance économique, nous devons procéder à des innovations organisationnelles, qui risquent de se heurter à des comportements d’attentisme ou de résistances sociales au changement.
Les entreprises de croissance constituent l’ingrédient essentiel de notre croissance économique future : ce sont elles qui tirent les gains de productivité et l’emploi. Or ces jeunes pousses prometteuses sont souvent confrontées à la barrière du financement et à la fragmentation du marché européen
Plaidoyer contre le malthusianisme. Il est important pour un pays de ne pas bloquer l’entrée des start-up innovantes au travers de réglementations trop défensives ou malthusiennes. Les entreprises de croissance constituent l’ingrédient essentiel de notre croissance économique future : ce sont elles qui tirent les gains de productivité et l’emploi. Ces jeunes pousses prometteuses sont souvent confrontées à la barrière du financement et à la fragmentation du marché européen. L’enjeu véritable pour l’Europe est moins celui de la naissance des start-up que leur croissance forte et rapide, afin qu’elles deviennent de nouveaux géants.
Les déficits publics. A l’occasion de la crise de la Covid-19, tous les pays ont fait le choix de laisser filer leurs déficits publics, en ouvrant largement les vannes de la dépense. Ils ont eu raison : à grand choc, grands remèdes. D’un point de vue théorique, une forte hausse de la dette n’est pas une mauvaise nouvelle en soi : face à un choc négatif sur l’offre et la demande, il est logique que la dépense publique vienne se substituer momentanément à des investissements et une consommation privés en berne. Pour autant, il est légitime de s’inquiéter de la hausse de la dette publique, tout particulièrement dans un pays où les déficits publics sont la norme depuis 1975. En effet, les citoyens risquent d’être confortés dans l’idée selon laquelle tout problème peut se régler par l’endettement public. Cette croyance est d’autant plus discutable que les services publics proposés ne sont souvent pas à la hauteur des prélèvements consentis par les citoyens. Lorsque l’on compare la France aux pays scandinaves, les résultats ne sont guère flatteurs : nous avons le niveau de prélèvements et de dépenses publiques d’un pays du nord mais les performances d’un pays du sud. Le vrai sujet, jamais abordé, est celui de l’efficacité de la dépense publique.
Libéral social pur jus
Emmanuel Combe est vice-président de l’Autorité de la concurrence et professeur des Universités à Skema Business School. Il vient de publier aux éditions Concurrences le tome 2 de ses chroniques parues dans L’Opinion entre 2019 et 2021, avec une préface d’Anne Méaux.