Fusion-acquisitions : vous avez dit marché pertinent ? (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié le 23 Septembre 2021 une chronique dans L’Opinion sur le marché pertinent.

Fusions-acquisitions : vous avez dit « marché pertinent » ?

A l’heure où le marché des fusions-acquisitions connaît un boom sans précédent dans le monde, une inquiétude revient souvent dans les débats publics : ces mouvements de concentration industrielle ne vont-ils pas avoir un impact néfaste sur la concurrence et, par effet de ricochet, sur les prix ? Pour répondre à cette question, il faut au préalable avoir une claire vision des marchés sur lesquels ont lieu ces opérations : c’est la fameuse étape de « délimitation du marché pertinent », menée par toutes les autorités de concurrence dans le monde.

Un marché pertinent se définit à partir du critère de substituabilité de la demande : appartiennent au même marché tous les produits qui sont substituables entre eux pour les clients. En effet, il s’agit de savoir quelle sera la réaction des consommateurs si l’une des entreprises qui se marie augmente ses prix après la fusion : resteront-ils fidèles aux produits des deux entreprises ou iront-ils voir ailleurs ?  Si les consommateurs reportent massivement leur consommation au-delà des entreprises qui se marient, alors c’est que le marché comprend d’autres produits que ceux des deux mariés.

Pour mener ce travail de délimitation des contours du marché pertinent, il n’existe pas de formule magique : il faut procéder selon la méthode du faisceau d’indices, un peu comme dans une enquête policière. Les indices peuvent être qualitatifs et porter sur des variables telles que l’observation du comportement des consommateurs, le rôle des marques, les écarts de prix entre produits ou les différences de canaux de distribution. Ils peuvent être parfois plus quantitatifs, lorsque les données sont disponibles et fiables: on peut par exemple étudier si les prix des produits sont positivement corrélés au cours du temps.

Délimiter un marché pertinent est toujours un exercice difficile et les apparences peuvent être parfois trompeuses. Par exemple, deux produits assez similaires dans leurs fonctionnalités n’appartiennent pas forcement aux mêmes marchés pertinents s’ils n’ont pas les mêmes usages : ainsi, une voiture de luxe n’est à l’évidence pas sur le même marché  qu’une voiture utilitaire. La notion même  de « marché de la voiture » n’a d’ailleurs pas grand sens d’un point de vue concurrentiel : un client n’arbitre pas entre acheter une Porsche ou une Kangoo. Il faut donc délimiter autant de marchés pertinents qu’il y a de besoins particuliers à satisfaire en matière automobile.   Symétriquement, deux produits physiquement différents peuvent néanmoins appartenir au même marché pertinent : ainsi, un train à grande vitesse est différent d’un avion ; pour autant, sur une distance comme Paris/Londres, il est probable que le train et l’avion soient sur le même marché : ils sont assez substituables car ils satisfont le même besoin, celui de se déplacer rapidement entre deux capitales, pour un temps total de trajet assez équivalent.

Délimiter le marché pertinent constitue un enjeu crucial pour les entreprises : si le marché retenu est très large, l’opération de fusion-acquisition aura moins de chances d’affecter négativement la concurrence que si le marché est étroit. Mais le marché pertinent n’est que la première étape du raisonnement concurrentiel. Nous en reparlerons la semaine prochaine.

 

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