Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 22 Novembre 2017, sur l’efficacité limitée du protectionnisme.
Protectionnisme : effet boomerang
Sale temps pour la Chine, (re)devenue, avec l’élection de Donald Trump, le bouc émissaire d’une mondialisation jugée injuste et destructrice d’emplois dans les pays riches. Le gouvernement chinois n’a d’ailleurs pas tardé à réagir, en lançant un nouveau projet de libre-échange en Asie. Mais si le protectionnisme américain constitue à l’évidence une mauvaise nouvelle pour l’économie chinoise, il pourrait bien demain se retourner contre son propre instigateur.
Passons rapidement sur les coûts bien connus du protectionnisme pour les consommateurs américains. Leur pouvoir d’achat va en prendre un sacré coup, notamment quand ils vont vouloir se payer un iPhone assemblé en… Chine. De même, les entreprises américaines qui incorporent des composants chinois dans leurs produits vont voir leur compétitivité-prix se dégrader.
Pour ce qui est des emplois sauvés, les expériences récentes n’invitent pas non plus à l’optimisme : ainsi, la taxe Obama sur les importations chinoises de pneumatiques a certes permis de sauvegarder 1 200 emplois sur le sol américain, mais pour un coût total de 1,1 milliard de dollars chaque année – surprix oblige — soit un coût annuel par emploi sauvé de… 900 000 dollars ! Pas très efficace.
Un retour au protectionnisme risque aussi d’inciter les Chinois à contourner l’obstacle en délocalisant leurs usines… dans des pays tiers d’Asie, à partir desquels ils exporteront vers les Etats-Unis. Dans des productions plus technologiques comme l’automobile, on n’est pas à l’abri d’un remake des années 1980 : lorsque les Etats-Unis et l’Europe ont voulu stopper « l’invasion » de voitures et télés asiatiques, à coups de quotas et de mesures anti-dumping, les entreprises japonaises et coréennes ont aussitôt réagi… en sautant par-dessus les barrières et en s’implantant dans les pays d’accueil. Lorsque l’on empêche les produits de circuler librement, ce sont les usines qui se déplacent.
Mais l’effet le plus redoutable du protectionnisme est à chercher ailleurs : il va accélérer la montée en gamme de l’économie chinoise. A nouveau, l’expérience du passé est éclairante : lorsqu’en 1981 le gouvernement américain a décidé de limiter les importations de voitures japonaises, les producteurs japonais ont remplacé les petites cylindrées par des véhicules plus luxueux et plus chers ! Bref, le protectionnisme américain a été l’allié involontaire d’une montée en gamme des exportations automobiles japonaises.
Ce risque est crédible aujourd’hui dans le cas de la Chine : si elle reste encore l’usine du monde, la Chine est devenue une terre d’innovation. En 2015, elle occupait déjà la troisième place, après les Etats Unis et le Japon, en nombre de dépôts de brevets. Dans l’imprimerie 3D, la robotique ou les nanotechnologies, la Chine figure dans le top 5 des innovateurs. Même constat pour les dépôts de marque : la Chine est le 7e déposant de marques, au point de faire jeu égal avec l’Italie ou le Royaume-Uni. C’est dire à quel point elle est engagée dans un puissant processus de rattrapage technologique. Le protectionnisme américain, en lui barrant l’accès du marché sur les produits bas de gamme, va la conforter dans cette stratégie de montée en gamme. Les Chinois pourront presque remercier demain Trump de cet effet boomerang.