« Dictateur bienveillant ? » (L’Opinion)

0
Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 29 Novembre 2017, sur les formes de dictature et leur impact sur l’économie.

 

Dictateur bienveillant ?

Alors que la mort de Castro ressurgir en France un lugubre débat (peut-on sauver la figure d’un tyran au motif qu’il a incarné un idéal révolutionnaire ?), bien peu s’interrogent sur le bilan économique d’un demi-siècle de régime castriste. Même si les chiffres doivent être pris avec précaution, force est de constater qu’il n’y a pas eu de « miracle cubain. » Selon les estimations de la CIA, le PIB par habitant oscillait en 2011 aux alentours de 10 200 dollars, plaçant ainsi Cuba au niveau… de la Namibie ou de l’Albanie. Cuba n’aura donc pas connu le destin d’un pays comme la Corée du Sud, passée en 50 ans du statut de pays en développement à celui de membre de l’OCDE.

L’explication qui vient aussitôt à l’esprit est politique : régime autoritaire et croissance ne font jamais bon ménage. Malheureusement, les études empiriques parviennent à des résultats plus nuancés : si les dictatures les plus répressives sont toujours un obstacle à la prospérité, un renforcement des droits démocratiques n’est pas une solution miracle pour la croissance. On peut même trouver des exemples de pays ayant connu des régimes autoritaires et… un développement économique rapide.

Si la relation est si complexe, c’est sans doute parce qu’il existe différents types de régimes autoritaires, comme l’a montré Anna Krueger. Dans une « dictature prédatrice », le but principal des dirigeants est de mettre le pays à sac, en se partageant les rentes et en bridant toute initiative privée qui leur échappe ; en témoignent les sinistres régimes Marcos aux Philippines (1965-1986) ou Mobutu au Zaire (1965-1997). Les pays en sortent exsangue : songeons par exemple que le PIB par habitant a régressé à Haïti sous la longue dictature Duvallier (1957-1981). L’histoire se termine en général par la chute du tyran, parfois remplacé par… un autre tyran. Le pays sombre alors dans un cercle vicieux où la misère alimente l’instabilité politique, qui bloque en retour tout développement.

Corruption des élites. Un autre cas de figure est celui du « dictateur bienveillant » : le gouvernement prive le pays de liberté politique mais adopte une attitude de « laisser faire » sur le plan économique. Les citoyens peuvent faire du business… tant qu’ils ne se mêlent pas des affaires publiques, réservées à une caste. Le gouvernement met progressivement en place des institutions favorables à la croissance, tels que des marchés libres ou un système juridique garantissant les droits de propriété. Si la corruption des élites et la rente existent, elles ne prennent pas la forme d’un pillage généralisé des richesses.

Ce cas de figure ressemble à ce qui a prévalu dans des pays comme la Corée du Sud, Taiwan ou Singapour, avant les années 1990. Ces régimes autoritaires sont souvent stables dans le temps, ce qui est favorable à l’épargne et l’investissement : Lee Kuan Yew a ainsi dirigé Singapour pendant …31 ans. Plus intéressant encore, ces régimes finissent souvent par être confrontés à une demande de droits démocratiques : c’est la prospérité économique qui ouvre la voie aux revendications de liberté politique.

Dans le cas de Cuba, la punition aura été double : privés de liberté politique, les Cubains n’ont pas même goûté à la liberté économique. Ils leur restent toutefois une chose précieuse : un niveau d’éducation et de capital humain élevé. Espérons que cette richesse les aidera demain à conquérir leurs libertés.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici