Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 16 Juin 2020, sur la gestion de la politique des masques durant la crise du Covid-19.
Masques : le difficile pilotage du marché
La gestion de l’offre de masques par les pouvoirs publics durant la crise sanitaire nous montre à quel point l’intervention de l’Etat sur un marché reste un exercice délicat.
Premier temps de l’histoire : faute de stocks suffisants de masques de protection respiratoires et chirurgicaux, notre pays s’est trouvé confronté dès le début de la pandémie à une situation de pénurie, en premier chef pour protéger les personnels soignants. Face à l’urgence, le réflexe naturel de l’Etat a été de vouloir tout faire lui-même. Il a donc réquisitionné la totalité des stocks, de la production domestique et des importations ; il a également fait le choix d’aller lui-même démarcher les industriels chinois, pour sécuriser les approvisionnements.
Ce faisant, il s’est sans doute privé de l’expertise de nombreuses entreprises françaises qui disposaient déjà d’une connaissance fine du marché chinois et des réseaux de fournisseurs potentiels à l’étranger. Le message général a été qu’en situation d’urgence extrême, l’Etat ne délègue pas aux acteurs privés : « Les masques c’est moi », pour reprendre la formule d’une récente étude de l’Institut Montaigne. Ce choix contraste avec celui opéré par les Allemands. En Allemagne en effet, après une certaine hésitation, Angela Merkel a pris la décision début avril de signer des accords-cadres avec de grandes entreprises nationales pour l’approvisionnement en masques importés. L’initiative privée est venue alors en soutien de l’action publique.
Dans un second temps, l’enjeu de la crise sanitaire a été d’offrir à tous les Français des « masques barrières », jetables ou réutilisables. Pour ce qui est des masques à usage unique, essentiellement importés, la sage décision a été prise de fixer un prix plafond, envoyant ainsi un signal clair au marché et aux éventuels « profiteurs de guerre ». Il en va tout autrement pour les masques réutilisables : comme un prix plafond était difficile à instaurer, compte tenu de la diversité des modèles, les pouvoirs publics sont essentiellement intervenus en fixant des normes de qualité, au travers d’un référentiel Afnor. Ils ont également facilité la mise en relation des parties prenantes, via une plateforme.
Mais aucun signal clair n’a été envoyé au marché sur les volumes prévisibles, alors même que la demande de masques a de fortes chances d’être temporaire. Plus de 400 entreprises, notamment de la filière textile, se sont lancées dans la confection de masques et… ce qui devait arriver est arrivé, assez rapidement : une situation d’excès d’offre, avec plusieurs dizaines de millions de masques réutilisables qui ne trouvent pas preneur.
Sans jeter la pierre à quiconque, on a le sentiment rétrospectif que l’intervention de l’Etat sur ce marché a été à la fois trop forte et trop faible. Trop forte au début de la crise sanitaire, lorsque l’on aurait pu aussi miser sur l’initiative privée pour booster nos importations de masques. Trop faible durant la seconde phase de production domestique, où le marché a manqué d’informations sur les risques de surproduction. Par exemple, sans aller jusqu’à fixer les volumes, l’Etat aurait pu jouer un rôle utile de coordinateur du marché, en alertant régulièrement les acteurs privés sur l’évolution de la production et de l’offre par rapport à la demande.
Le dosage et l’articulation entre régulation publique et initiative privée restent décidément un art difficile, surtout en situation d’urgence.
Emmanuel Combe est professeur à Skema Business School et vice-président de l’Autorité de la concurrence.