Emmanuel Combe a publié le 22 Février 2023 une chronique dans L’Opinion sur l’actionnariat salarié.
Tous actionnaires salariés ? oui, mais
En ces temps d’inquiétude sur le pouvoir d’achat, la (bonne) nouvelle n’est pas passée inaperçue : 1000 salariés de La Redoute ont reçu chacun la modique somme de 100 000 euros, suite au rachat de leurs actions. Ces salariés ont pris le risque d’investir quelques centaines d’euros en 2014, alors que l’entreprise était moribonde, en faisant le pari de son redressement. C’est ce pari réussi qui est aujourd’hui récompensé.
L’idée d’associer les salariés au capital suscite de prime abord la sympathie, dans la mesure où elle incarne une forme de « démocratie économique » ; pour autant, elle apparaît assez ambivalente d’un point de vue théorique.
Commençons par les aspects les plus positifs. En premier lieu, comme le souligne la célèbre « théorie de l’agence », l’actionnariat salarié permet d’aligner l’intérêt des salariés avec celui des actionnaires : les salariés sont incités à être plus productifs et à rester plus longtemps dans l’entreprise puisqu’ils vont récupérer une partie de la valeur additionnelle créée, sous la forme de dividendes et de plus-values.
En second lieu, la participation au capital permet aux salariés de s’assurer que les décisions de l’entreprise vont aussi dans le sens d’une valorisation de leur capital spécifique, à savoir leur capital humain, par exemple en investissant dans la formation continue.
Enfin, lorsqu’ils siègent dans les instances de gouvernance, les salariés peuvent jouer un rôle précieux d’information des actionnaires sur la stratégie des dirigeants, dans la mesure où ils sont quotidiennement à leur contact. Ils peuvent par exemple les informer de décisions aventureuses qui iraient à l’encontre de la valeur de l’entreprise à long terme.
Les études empiriques penchent majoritairement en faveur des bienfaits de l’actionnariat salarié sur la performance de l’entreprise
Efficacité. A contrario, l’actionnariat salarié peut avoir des effets négatifs sur l’efficacité de l’entreprise. Tout d’abord, comme leur horizon temporel au sein de l’entreprise est limité – en particulier chez les plus diplômés, qui changent souvent de job –, on peut craindre que les salariés actionnaires ne privilégient des investissements de court terme.
En second lieu, ils peuvent adopter un comportement dit de « hold up », consistant à orienter la politique de l’entreprise vers des hausses de salaires, au détriment d’autres investissements. En troisième lieu, les actionnaires salariés peuvent faire alliance avec les dirigeants, contre l’intérêt même des actionnaires ; ils peuvent s’accorder par exemple sur des avantages monétaires ou non monétaires, en échange d’un soutien indéfectible au dirigeant en cas d’OPA hostile, comme le montre la « théorie de l’enracinement ».
Face à cette absence de consensus théorique sur l’actionnariat salarié, que montrent les études empiriques ? Elles penchent majoritairement en faveur des bienfaits de l’actionnariat salarié – notamment lorsque les salariés sont présents dans les conseils d’administration et lorsque leur participation au capital reste inférieure à 5% – sur la performance de l’entreprise. L’enjeu est alors de démocratiser davantage ce levier, pour qu’il se diffuse à l’ensemble des entreprises et ne reste plus l’apanage des seuls grands groupes.
Mais il faut également s’assurer que les salariés soient clairement informés des risques qu’ils prennent. En effet, inciter les salariés à investir dans le capital de leur propre entreprise revient à leur faire prendre un double risque : en cas de faillite, ils auront non seulement perdu leur job mais aussi une partie de… leur épargne !
Emmanuel Combe est Professeur à l’université de Paris 1 et à Skema Business School.