A la recherche de la croissance perdue
Et si la croissance économique était une notion appartenant au passé ? Telle est la thèse défendue en 2012 par l’économiste Robert Gordon, qui prédit même l’avènement d’une « stagnation séculaire ». Nous serions demain condamnés à la croissance faible, faute d’innovations majeures : nulle trace à l’horizon d’une 4e révolution industrielle – après celles de la machine à vapeur, de l’électricité/chimie, des technologies de l’information et de la communication — qui viendrait (re)booster nos économies. Au soutien de sa thèse, Gordon mobilise une statistique apparemment incontestable : le ralentissement marqué et durable des gains de productivité en Europe et aux Etats-Unis.
Les gains de productivité constituent l’ingrédient essentiel de la croissance : ils mesurent notre capacité à produire plus efficacement (baisse des coûts) et à mettre sur le marché des produits innovants, dont l’usage permet d’être plus performant. Ainsi, une innovation comme le smartphone a fait gagner du temps à des millions d’utilisateurs, en leur permettant de chercher rapidement des informations sur Internet ou de répondre à leurs emails sans avoir à se mettre derrière un ordinateur. Plus les gains de productivité seront élevés dans un pays, plus la croissance sera forte. Il est donc capital de bien les mesurer.
Gains de productivité. Lorsque les innovations sont mineures – les entreprises se contentant d’améliorer les produits existants —, l’exercice de mesure n’est pas trop difficile : il suffit de prolonger la tendance observée dans le passé sur des produits similaires. Par exemple, lorsqu’un nouvel ordinateur équipé d’un microprocesseur plus puissant est lancé sur le marché, on suppose que les gains de productivité pour l’usager sont les mêmes que ceux du modèle précédent. Mais il en va tout autrement lorsqu’il s’agit de mesurer les gains de productivité d’un produit radicalement nouveau, qui vient remplacer un produit existant. Par exemple, lorsqu’Apple a lancé en 2007 son Iphone, les gains de productivité apportés à l’utilisateur ont été mesurés comme s’il s’agissait d’un simple « téléphone amélioré ». Ils ont donc été fortement minorés.
Dans deux études récentes, Philippe Aghion et ses co-auteurs tentent justement de corriger ce biais statistique, en recalculant les gains de productivité résultant de l’arrivée sur le marché d’innovations radicales. Pour les identifier, ils suivent l’évolution des parts de marché des produits : les nouveaux produits, plus performants, viennent prendre la place de ceux en place, à l’image de l’iPhone qui a détrôné le téléphone Nokia. Leurs résultats sont éloquents : dans le cas américain, au cours des quinze dernières années, les gains de productivité et donc la croissance réelle auraient été sous-estimés d’un quart à un tiers !
Même constat sur la France : notre véritable taux de croissance serait supérieur de 0,5 point chaque année… soit un tiers de plus que la croissance mesurée. Voilà une bonne nouvelle, qui devrait nous inciter à mieux accepter l’idée que la croissance n’est plus un long fleuve tranquille. C’est un processus de « destruction créatrice », par lequel des produits innovants, souvent portés par de nouvelles entreprises, viennent prendre la place de produits existants. Freiner la destruction créatrice, c’est freiner la croissance économique.
Emmanuel Combe est professeur des universités, professeur affilié à Skema Business School.