Emmanuel Combe a publié le 5 Octobre 2021 une chronique dans L’Opinion sur l’impact concurrentiel d’une fusion-acquisition.
Fusions-acquisitions : quels risques pour la concurrence ?
Nous avons vu dans la précédente chronique que l’analyse des parts de marché et de la concentration permettait d’avoir une première présomption sur l’impact possible d’une fusion sur la concurrence. Mais cette analyse n’est pas suffisante : si la concentration et les parts de marché sont élevées, encore faut-il démontrer de quelle manière la fusion pourrait affecter négativement la concurrence. Dans le cas d’une opération horizontale, deux types d’effets sont susceptibles de se produire.
Un premier effet, appelé « effet unilatéral », résulte de l’altération de l’intensité concurrentielle : comme il y a moins de concurrents sur le marché, les entreprises qui se marient sont incitées à augmenter leurs prix. Un cas d’école est celui dans lequel deux entreprises concurrentes se marient : on passe d’un duopole à un monopole. Le monopole va réduire les quantités – et donc accroître les prix — puisqu’il ne subit plus la pression concurrentielle de son concurrent.
Ce cas d’école a été rencontré par la Commission en 2013, lorsque Ryanair a voulu racheter son concurrent irlandais Aer Lingus. La Commission a considéré que l’opération aurait porté préjudice aux consommateurs en créant une situation de quasi-monopole sur les 46 liaisons aériennes sur lesquelles Aer Lingus et Ryanair se livraient une concurrence acharnée : après le mariage, la nouvelle entité aurait maîtrisé 87 % des vols court-courriers au départ de Dublin. Au-delà de son effet sur le prix, l’effet unilatéral peut aussi conduire à diminuer la qualité ou la diversité des produits.
Effet coordonné. Un second effet, appelé « effet coordonné », provient du fait que la réduction du nombre d’acteurs peut les conduire tous à adopter le même comportement : chaque entreprise va augmenter son prix, en anticipant que les autres feront de même. Tout l’enjeu est que chaque entreprise respecte cette entente tacite. Ce risque de coordination est particulièrement élevé lorsque plusieurs conditions sont réunies : il existe un faible nombre d’acteurs ; les parts de marché sont symétriques ; l’information sur le marché est transparente ; les participants à l’entente ont la possibilité d’exercer des représailles en cas d’écart par rapport à la ligne de conduite commune.
Ainsi, en août 2020, l’Autorité française de la concurrence a interdit le rachat d’une enseigne Géant Casino par Leclerc dans l’agglomération de Troyes : la nouvelle entité se serait retrouvée en situation de duopole avec Carrefour. L’Autorité a estimé qu’il y avait un fort risque que l’enseigne Leclerc coordonne tacitement son comportement sur la zone troyenne avec celui de Carrefour. L’Autorité a d’abord constaté que le marché de la distribution au détail de produits à dominante alimentaire était transparent : les acteurs peuvent facilement avoir connaissance du comportement de leurs concurrents, notamment en termes de prix pratiqués ou de campagnes de promotions. Ensuite, l’Autorité a relevé que chacun des deux acteurs aurait été en mesure d’exercer des représailles en cas de déviation de la ligne de conduite commune.
Ces deux risques concurrentiels ont d’autant plus de chances de se concrétiser si aucune nouvelle entreprise n’est susceptible d’entrer sur le marché pour venir contester leur position ; c’est ce que nous verrons dans la prochaine chronique.