Hausse des prix : la reporter (ou pas) sur les clients ?
Emmanuel Combe a publié une chronique le 14 Octobre 2021 dans Les Echos sur la capacité des entreprises à reporter les hausses de prix sur les clients.
Alors que le prix des matières premières et des composants flambe littéralement depuis le début de l’année, à l’image du baril de Brent qui tutoie les 80$, de nombreuses entreprises se demandent si elles ne doivent pas reporter cette hausse en aval, sur leurs clients. Pour répondre à cette question délicate, de nombreux facteurs doivent être pris en compte.
En premier lieu, la structure du marché. Si le marché est très concurrentiel, les marges sont faibles et les entreprises n’ont pas d’autre choix que de répercuter l’intégralité de la hausse du coût dans le prix. A l’inverse, sur un marché concentré, l’entreprise va absorber une partie de la hausse et n’en répercutera qu’une fraction à ses clients.
En second lieu, le caractère symétrique ou non de la hausse des coûts entre en ligne de compte. Si les entreprises d’un secteur disposent des mêmes technologies de production, elles sont toutes affectées de la même manière : dans ce cas, une répercussion sur les clients sera plus aisée à mettre en œuvre puisque tous les acteurs auront la même incitation à le faire. A l’inverse, si une entreprise est plus touchée que ses concurrents par la hausse des coûts, elle risque de perdre des clients si elle décide d’augmenter ses prix. On songe par exemple à un secteur comme le transport aérien dans lequel opèrent des acteurs low cost et des compagnies historiques, qui n’ont pas le même degré d’exposition au prix du pétrole. Paradoxalement, une hausse du prix du pétrole affectera plus les low cost, puisque le kérozène peut représenter jusqu’à 35% de leur coût variable. Reporter seul la hausse risquerait d’inciter les clients du low cost à se tourner vers les concurrents historiques.
En troisième lieu, le poids de l’intrant dans le coût de production joue un rôle déterminant : si son poids est limité, la hausse du prix pourra être absorbée par une compression des marges. Mais à l’inverse, on peut considérer que le faible poids de l’intrant incitera l’entreprise à augmenter son prix, puisque la hausse sera limitée pour les clients.
En quatrième lieu, l’entreprise doit tenir compte de la structure en aval de ses clients : lorsque ces derniers sont peu nombreux et de grande taille, ils disposent d’un fort pouvoir de négociation, susceptible d’empêcher toute répercussion du surcoût. On pense par exemple à de grands clients de l’industrie informatique ou de la grande distribution.
En cinquième lieu, les entreprises doivent se demander si la hausse du prix des intrants est permanente ou transitoire. Si elle est transitoire, il peut être rationnel de ne pas répercuter la hausse, au moins à court terme : renégocier les contrats avec les clients est coûteux en termes de temps et de pénalités éventuelles, ce que l’on appelle les « coûts de menu ». De plus, modifier les contrats en cours de route peut porter atteinte au capital relationnel et à la confiance nouée avec les clients. A cet égard, il n’est pas certain que toutes les hausses de prix soient aujourd’hui de même nature : dans le cas de l’énergie, il est probable que la hausse des prix soit durable et structurelle, ce qui n’est pas forcément le cas pour les semi-conducteurs, dont les prix sont historiquement très cycliques et dépendent des capacités de production.
En fin de compte, la question de la répercussion de la hausse des coûts dans le prix est le résultat d’une appréciation multi-factorielle, qui dépend de la nature du choc et du secteur d’activité.