« Ferroviaire : la décarbonation passe aussi par la concurrence » (Les Échos)

0

Emmanuel Combe a publié le 23 Juin 2023 une tribune dans Les Échos sur la concurrence dans le ferroviaire.

 

Ferroviaire : la décarbonation passe aussi par la concurrence

 

A l’heure où le ferroviaire est clairement identifié comme un vecteur essentiel de décarbonation, le gouvernement multiplie les annonces : plan de 100 milliards d’euros pour remettre à niveau nos infrastructures, création de 10 nouveaux réseaux de trains express régionaux, etc. Il y a toutefois un grand absent dans les débats sur le ferroviaire : la concurrence. C’est oublier que, sans une véritable concurrence en aval, dans le service aux voyageurs, la décarbonation par le train risque d’être assez déceptive pour les usagers.

Sur les lignes à grande vitesse, il y a place pour une véritable «concurrence sur le marché» : rien ne s’oppose à ce que plusieurs compagnies opèrent sur une même ligne. Pourtant, force est de constater que les prétendants ne se bousculent pas pour le moment, en dépit de l’ouverture à la concurrence depuis 2021 : seul l’opérateur Trenitalia est entré, sur la ligne Paris/Lyon/Milan, avec une part de marché limitée. Renfe vient d’annoncer son arrivée en Juillet sur plusieurs lignes entre des capitales régionales françaises, Barcelone et Madrid. Les expériences espagnole et italienne, où le marché de la grande vitesse est largement ouvert ont démontré tous les mérites de la concurrence. Elle a conduit à une diminution significative du prix du billet, en moyenne de 30% en Italie, l’opérateur historique ayant lui aussi ajusté ses prix. Elle a fortement stimulé le trafic par un effet d’induction et par un report modal de l’avion vers le train. Elle a enfin augmenté la qualité de service à bord comme en gare. A l’heure où les Français considèrent que le prix du TGV est trop élevé, développer la concurrence sur la grande vitesse serait utile.

De même, sur les trains régionaux conventionnés, il y a place pour une « concurrence pour le marché ». L’enjeu ici n’est pas de multiplier les opérateurs mais de sélectionner, à l’issue d’un appel d’offre, l’opérateur le mieux disant. La Région Sud a déjà franchi le pas, en attribuant en 2022, à l’issue d’un appel d’offres, la ligne Marseille/Nice à un concurrent de la SNCF. Une première en France. Mais toutes les régions ne se sont pas encore vraiment emparées de cette possibilité. Certaines ont même fait le choix de renouveler les contrats existants avec l’opérateur historique jusqu’en …. 2033. Le gain attendu ici est moins une baisse du prix du billet – subventionné- qu’une plus grande efficacité opérationnelle de l’opérateur, qui va se traduire en retour par une meilleure qualité de service pour l’usager. Par exemple, une hausse des fréquences de TER incitera davantage de personnes à prendre le train plutôt que leur voiture.

Comment faire pour stimuler la concurrence dans le service ferroviaire ? Si la concurrence ne se décrète pas, les pouvoirs publics peuvent néanmoins l’encourager, en abaissant les barrières à l’entrée. Elles sont nombreuses dans le ferroviaire. La première barrière est institutionnelle : la situation actuelle du gestionnaire d’infrastructure ne garantit pas que tous les opérateurs soient traités sur un pied d’égalité, sans discrimination en faveur de l’opérateur historique. Le renforcement de son indépendance constitue donc une priorité, comme le rappellent régulièrement l’ART et les rapports parlementaires. La seconde barrière est économique : il est coûteux pour un opérateur de rentrer sur le marché de la grande vitesse, en l’absence d’un marché de la location ou de l’occasion sur le matériel roulant. La création d’une compagnie qui loue les trains aux nouveaux entrants pourrait constituer une solution. La troisième barrière est informationnelle : dans le cas des appels d’offre, les nouveaux entrants n’ont pas toujours accès aux données historiques de manière complète et en temps utile. Un renforcement des obligations de transmission d’informations stimulerait la concurrence, en permettant aux nouveaux entrants d’élaborer des offres pertinentes et en temps utile.

SI l’on veut que les 100 milliards d’euros investis en faveur du ferroviaire délivrent toutes leurs promesses, il est urgent de miser aussi sur la concurrence. Nous en récolterions demain un triple gain : la décarbonation mais aussi … plus de pouvoir d’achat et de qualité de service pour tous les usagers.

 

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici