Emmanuel Combe a publie une chronique dans L’Opinion le 13 Janvier 2021.
Consommateurs immobiles
Comme chaque année, l’association de défense des consommateurs CLCV publie son palmarès des tarifs bancaires, établi en fonction de la localisation du client, de son profil et du panier de services choisi. L’enquête met en relief de fortes disparités de prix entre banques, pour un même panier et profil. Ainsi, pour un « petit client » utilisant peu de services, le prix annuel d’un package bancaire oscillerait entre 41€ et 108€ selon l’établissement choisi.
Au-delà du cas particulier de la banque de détail, il est intéressant de s’interroger sur les origines d’une telle dispersion des prix, dans la mesure où elle paraît contre-intuitive. En effet, lorsque les produits sont assez similaires, la dispersion des prix ne peut perdurer dans le temps : les clients devraient arbitrer très vite en faveur des offres les moins onéreuses, conduisant à une uniformisation des prix. Ce mécanisme d’arbitrage devrait même être renforcé à l’heure d’Internet, avec le développement des comparateurs de prix. Mais en réalité, les choses sont plus complexes qu’il n’y parait.
Tout d’abord, comparer les prix et les offres n’est pas toujours gratuit et instantané : il existe encore des « coûts de recherche d’information » (« search costs »). Supposons par exemple qu’un client veuille comparer le prix d’un paquet de lessive, vendu dans plusieurs magasins physiques qui ne sont pas localisés au même endroit. Il va devoir se déplacer et supporter un … coût de transport. Si ce coût est prohibitif, il renoncera à faire la comparaison et ira dans le magasin le plus proche de chez lui, ce qui donnera un pouvoir de marché local au vendeur.
Ensuite, même si l’information sur le produit est librement accessible, elle n’est pas toujours facile à comparer entre offreurs : le client va devoir prendre le temps d’analyser des grilles tarifaires parfois complexes ou composées de bouquets différents. Il peut d’ailleurs être dans l’intérêt des entreprises de complexifier leur offre ou leur grille tarifaire pour limiter les comparaisons et réduire ainsi l’intensité de la concurrence.
En troisième lieu, lorsque le client a l’intention de changer d’offreur, il risque de supporter des « coûts de transfert » monétaires, constitués par exemple de pénalités ou de frais. Le législateur peut certes intervenir pour les réduire : dans la banque par exemple, l’aide à la mobilité prévoit que le nouvel établissement s’occupe du transfert des opérations et de la clôture de l’ancien compte, sans aucun frais. Mais les coûts de transfert présentent aussi une dimension psychologique : le consommateur peut être victime d’un biais de « statu quo », consistant à remettre au lendemain la résiliation de son contrat actuel, alors même qu’il serait avantageux pour lui de changer tout de suite.
En dernier lieu, rien ne garantit que le client qui a changé d’offre ait fait finalement le meilleur choix. Il peut être par exemple victime de « surconfiance », ce qui le conduit à surestimer son besoin réel. Ainsi, une étude sur les clubs de gym à Boston a montré que 80% des clients qui prenaient un abonnement surestimaient systématiquement leur motivation à aller s’entraîner régulièrement. Il aurait été plus judicieux pour eux de payer à la séance : en moyenne, ils auraient économisé près de 600$ par an !
Ainsi, au-delà des obstacles objectifs, la mobilité des consommateurs est limitée par des biais comportementaux contre lesquels il est assez difficile de lutter.