« Buy American Act : un protectionnisme qui cache son nom » (L’Opinion)

Emmanuel Combe a publié dans L’Opinion le 14 Avril 2021 une tribune sur le Buy American Act.

Buy American Act : un protectionnisme qui cache son nom

Depuis son investiture, Joe Biden affiche clairement son ancrage réformiste et keynésien, au travers d’une ambitieuse politique de relance et de lutte contre la précarité, en rupture avec celle de son prédécesseur. Pour autant, il serait hâtif d’en conclure que ce virage porte sur tous les aspects de la politique économique américaine. En particulier, la continuité entre les deux présidents apparaît particulièrement forte sur le front du protectionnisme : Joe Biden reste fidèle à la ligne définie par Donald Trump dès 2016 avec son slogan du « Buy American ». Certes, le ton est moins direct et agressif vis-à-vis des partenaires commerciaux mais, sur le fond, on relèvera que l’un des premiers décrets signés par Joe Biden, le 25 janvier 2021, a consisté à renforcer le Buy American Act.

De quoi s’agit-il exactement ? Le Buy American Act, promulgué en 1933 par Hoover, prévoit que les administrations fédérales privilégient, lors de leurs appels d’offres, des produits américains. Ce texte contenait toutefois plusieurs lacunes et exemptions, permettant aux administrations de le contourner. Désormais, pour être qualifié d’américain, le produit final devra incorporer au moins 55 % de composants fabriqués sur le sol américain.

De plus, le Buy American Act renforcé permettra à l’administration de choisir une entreprise américaine, même si le prix de sa prestation est 20 % plus élevé que celui de son concurrent étranger, alors que ce surprix était jusqu’ici limité à + 6 %.

Quel pourrait être l’effet d’une telle politique ? Une étude du Peterson Institute a estimé, avant même le renforcement du texte en 2021, l’impact du Buy American Act sur l’économie américaine : les résultats ne sont à vrai dire guère convaincants. Les auteurs relèvent tout d’abord que les achats des administrations américaines, fédérales comme locales, sont d’un montant assez impressionnant : 1 809 milliards de dollars en 2017. Ce chiffre se compose de 1 674 milliards d’achats domestiques et de 136 milliards d’importations.

En second lieu, les auteurs montrent qu’en l’absence du Buy American Act, le niveau des importations aurait été supérieur de 68 milliards. En troisième lieu, l’étude montre que cette politique conduit à augmenter le prix d’achat des administrations de 5,6 %, ce qui s’est traduit par une facture supplémentaire de 94 milliards de dollars. On pourrait se rassurer en se disant que ce surcoût payé par l’administration – et in fine par le contribuable — a permis en contrepartie de sauver des emplois aux Etats-Unis ; c’est d’ailleurs l’argument mis en avant par Donald Trump puis Joe Biden. Selon l’étude du Peterson Institute, 358 360 emplois auraient été sauvés, notamment dans le secteur du bâtiment. Une simple règle de trois permet alors de savoir combien coûte chaque année le fait de sauver un emploi avec cet instrument : il suffit de diviser 94 milliards par 358 360. Cela fait un coût annuel de 250 000 dollars par emploi sauvé.

Autant dire que le « Buy American Act » a les mêmes effets qu’une politique protectionniste classique : il équivaut en réalité à imposer un droit de douane, qui fait monter les prix et sauve des emplois à un coût élevé pour le contribuable américain. Le renforcer risque d’amplifier ce coût demain.

Emmanuel Combe est professeur à Skema business school et vice-président de l’Autorité de la concurrence

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