« Space X : aux origines d’une innovation disruptive » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié le 27 Avril 2021 dans L’Opinion une chronique sur Space X.

Space X : aux origines d’une innovation disruptive

 

La performance de la fusée SpaceX qui a conduit Thomas Pesquet jusqu’à la station spatiale internationale, largement portée par le génie d’Elon Musk, est aussi le fruit d’un changement majeur de la politique spatiale américaine à partir des années 2000, comme le montre une étude de Matthew Weinzierl, professeur à la Harvard Business School.

De manière schématique, la conquête spatiale a longtemps été organisée aux Etats-Unis de manière centralisée, sous l’égide de la Nasa, née en 1958 avec un objectif plus géostratégique qu’économique. Dans un tel système, l’agence se trouvait au centre du jeu, tandis que l’initiative privée était reléguée au second plan. La Nasa passait essentiellement des contrats de sous-traitance avec des entreprises privées, en leur garantissant que leurs coûts seraient couverts (approche « cost plus »).

Cette approche a, certes, donné de solides résultats pendant quarante ans sur le plan technologique – comme en attestent les missions Apollo, la navette spatiale, le télescope Hubble ou la station ISS, mais elle a conduit assez logiquement à une dérive des coûts au sein des programmes et à une faible appétence pour l’innovation disruptive. C’est en 1984, alors même que la navette spatiale triomphe dans l’espace, que le président Reagan pose les jalons de ce qui va devenir la nouvelle politique spatiale des Etats-Unis, avec le Space launch act.

L’idée est de passer d’un modèle centralisé à un modèle qui fasse davantage confiance au marché et à l’initiative privée pour trouver un successeur à la navette spatiale. La Nasa se voit alors repositionnée dans une fonction de client et de partenaire des entreprises, plutôt que de donneur d’ordre et de surveillance. Elle continue à octroyer des financements publics mais l’essentiel du risque est désormais transféré au secteur privé, en contrepartie de la perspective de profits considérables en cas de succès.

Cette politique a conduit à la constitution d’une véritable industrie spatiale, la fameuse « New space » : de nombreuses entreprises se sont lancées dans l’aventure, à l’image de SpaceX qui naît en 2002 avec le projet de lancer des capsules réutilisables. La concurrence entre entreprises est au rendez-vous, tout comme la spécialisation sur des segments d’activité tels que l’imagerie terrestre, la conception de satellites, l’habitat des stations spatiales ou l’élimination des débris spatiaux. La Nasa oriente le marché au travers des priorités qu’elle affiche dans ses contrats, qui sont désormais à prix fixes et non plus fonction des coûts.

C’est ainsi qu’en 2005 est adopté le programme Commercial orbital transportation services (COTS), qui vise à trouver un moyen efficace et économe de transporter des équipages et du matériel vers une station spatiale en orbite basse. Ce programme sera à l’origine du lanceur Falcon et du vaisseau habité Dragon, deux innovations de SpaceX qui ont conduit à fortement baisser le coût d’envoi dans l’espace d’engins et de personnes, notamment en réutilisant la fusée et la capsule.

La morale de l’histoire est que le retour des Etats-Unis au premier plan de la conquête spatiale a trouvé aussi sa source dans une redéfinition des rôles entre les pouvoirs publics et l’initiative privée : en laissant se développer un véritable marché du spatial, orientée et soutenu par la Nasa, les Américains ont permis l’éclosion d’innovations disruptives.

Emmanuel Combe est professeur à Skema business school et vice-président de l’Autorité de la concurrence.

 

 

 

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