« La concurrence reste un ingrédient essentiel de la croissance » (L’Opinion)

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A l’occasion de la sortie de son livre « La concurrence » aux Presses Universitaires de France, Emmanuel Combe a exposé pour l’Opinion quelques enjeux contemporains de ce sujet.

 

La concurrence reste un ingrédient essentiel de la croissance

 

Entre le libéral Frédéric Bastiat pour qui détruire la concurrence, « c’est tuer l’intelligence» et le libertaire anarchiste Pierre-Joseph Proudhon qui assurait que « la concurrence tue la concurrence », qui croire ? Emmanuel Combe. Economiste, professeur, vice-président de l’Autorité de la concurrence, notre chroniqueur consacre un livre entier à ce sujet passionnant et le reconnaît volontiers : « Chacune de ses affirmations contient sa part de vérité. »

Dans votre livre, vous rappelez les différentes vertus de la concurrence pour les consommateurs…

C’est l’aspect le plus connu. La concurrence fait baisser les prix et redonne du pouvoir d’achat, comme l’illustre l’entrée d’un quatrième opérateur mobile en 2012. Elle permet aussi de bénéficier d’une offre plus variée et constitue un aiguillon qui incite à s’améliorer : par exemple, les taxis ont fortement accru leur qualité de service, suite à l’entrée des VTC en 2011.

Mais la concurrence n’aurait-elle d’effets que sur la demande ?

En réalité, l’effet principal de la concurrence est à rechercher ailleurs, du côté de l’offre. Comme le montrent les travaux de Philippe Aghion, la concurrence stimule l’innovation dans les pays qui sont à la frontière technologique : elle favorise l’éclosion de nouveaux modèles économiques plus performants qui tirent les gains de productivité et les créations d’emplois. Les études empiriques montrent clairement que la concurrence est un ingrédient précieux pour doper la croissance. Restreindre la concurrence, c’est diminuer l’innovation au profit d’une économie de rente et de stagnation.

L’entrée de nouveaux acteurs conduit aussi à des destructions d’emplois…

De nouvelles entreprises vont en effet venir prendre la place d’autres entreprises, entraînant des mouvements de main-d’œuvre dans le secteur, entre les secteurs mais aussi sur le plan géographique. Faut-il s’en inquiéter ? Oui, dans la mesure où la mobilité sur le marché du travail n’est pas instantanée et se révèle coûteuse pour les personnes : acquérir de nouvelles compétences prend du temps et la mobilité géographique est limitée. Face à ce coût social, la tentation est grande de miser sur le statu quo. Mais une politique de restriction de la concurrence est à terme coûteuse pour la croissance, en limitant les gains de productivité et l’innovation. L’enjeu essentiel est de conjuguer les effets vertueux de la concurrence sur le marché des produits avec la nécessaire protection des personnes sur le marché du travail. Protégeons les personnes plus que les emplois. La concurrence n’est socialement acceptable que s’il existe des filets de sécurité.

La concurrence n’est-elle pas une valeur du monde d’hier, à l’heure de la transition environnementale ?

On pourrait le penser de prime abord, en opposant la concurrence qui fait baisser les prix et l’environnement qui impose une certaine sobriété de consommation. Mais à y regarder de plus près, la concurrence est l’alliée de la lutte contre la pollution, en favorisant par exemple l’innovation verte : c’est parce que les producteurs sont en concurrence entre eux qu’ils vont réaliser de meilleures performances environnementales pour attirer les clients, comme l’illustre le cas de l’automobile aujourd’hui.

Si la concurrence reste si utile, comment peut-on la stimuler ?

Il existe toute une palette d’instruments. Vous avez tout d’abord les politiques sectorielles d’ouverture, à l’image de ce qui a été fait avec les VTC. Vous avez également les politiques visant à mettre de la concurrence au niveau du service dans des industries de réseau telles que le gaz, l’électricité ou le ferroviaire. Un autre levier de politique publique consiste à renforcer l’information des consommateurs et à réduire les coûts de changement d’opérateur, à l’image de la portabilité du compte bancaire. Et bien entendu, vous avez la politique antitrust, qui lutte contre les pratiques limitant artificiellement l’intensité de la concurrence, à l’image des cartels.

En pratique, les réformes concurrentielles restent assez rares

En effet, si l’on se penche sur les initiatives proprement françaises, les réformes importantes en matière de concurrence sont peu nombreuses. En 2007-2009, le trio Chatel/Novelli/Lagarde à Bercy a fait vraiment bouger les lignes sur des sujets comme l’autoentrepreneur, la portabilité du numéro de téléphone, la réforme de l’urbanisme commercial, la création des VTC ou la naissance de l’Autorité de la concurrence. Ensuite, en 2012, l’octroi d’une 4e licence a profondément modifié le paysage concurrentiel de la téléphonie mobile, en faisant baisser les prix et en stimulant l’innovation entre les quatre opérateurs. Il y a eu enfin en 2015 les réformes du ministre Macron, avec la création de nouveaux offices notariaux et l’ouverture à la concurrence du transport par autocars. Il reste encore des réformes concurrentielles à faire mais elles sont assez difficiles à porter politiquement.

Comment expliquer une telle réticence politique ?

L’économie politique nous donne une clé de lecture assez convaincante. Ceux qui sont en place bénéficient d’une rente de rareté et vont s’organiser pour bloquer toute réforme pro-concurrentielle. Ils vont utiliser les arguments usuels, notamment celui de l’emploi : souvenez-vous du discours du notariat en 2015 qui affirmait que la réforme Macron conduirait à détruire plus de 10 000 emplois ! Rien de tout ceci ne s’est produit. Du côté des outsiders, qui ne sont pas encore entrés sur le marché, leur poids politique reste faible. On a donc une asymétrie des forces qui conduit à privilégier le statu quo. Pour un décideur politique, défendre la concurrence reste un sport de combat : il y a beaucoup de coups à prendre pour un gain électoral finalement limité.

Comment pourrait-on rendre les réformes concurrentielles plus acceptables politiquement ?

Il faut plutôt privilégier des réformes progressives et concertées, secteur par secteur. Par exemple, dans le domaine de la pharmacie, il ne s’agit pas de tout libéraliser, en permettant à n’importe qui de vendre des médicaments. Pour autant, on pourrait ouvrir davantage à la concurrence la vente de médicaments à prescription médicale facultative, sans pour autant renoncer au monopole du pharmacien. Il faut aussi bien expliquer les enjeux profonds d’une réforme et ne pas se laisser enfermer dans un faux débat qui voudrait opposer l’intérêt des consommateurs à celui des producteurs. La concurrence, c’est souvent bien plus que cela. C’est par exemple le droit de tenter sa chance, sans se heurter à des barrières à l’entrée discutables. Prenez la réforme des VTC : elle a été d’abord un appel d’air formidable pour des personnes peu diplômées et qui avaient l’envie de se lancer dans cette activité, sans pouvoir payer une licence coûteuse. Bref, la concurrence doit être présentée pour ce qu’elle est aussi : un levier de démocratie économique.

Et la politique de concurrence dans tout cela ?

Elle occupe bien entendu une place centrale. Elle vient nous rappeler que la concurrence n’existe pas sans règles du jeu et sans arbitre : la concurrence n’exclut pas qu’une entreprise puisse être dominante, à condition qu’elle n’en abuse pas. De même, les entreprises ne peuvent pas s’entendre entre elles sur le dos de leurs clients. A l’heure du numérique, on voit aussi le rôle fondamental d’une telle politique : il s’agit de s’assurer que les géants qui ont été à l’origine d’une révolution technologique majeure n’abusent pas de leur position dominante pour évincer ou discriminer les nouveaux entrants, notamment en pratiquant l’autopréférence. Une attention toute particulière doit aussi être accordée aux fusion-acquisitions dans le numérique.

Les Américains semblent d’ailleurs redécouvrir le rôle de la politique de concurrence depuis peu…

Ils avaient mis en sommeil leur politique de concurrence pendant quinze ans. Ils semblent le regretter aujourd’hui et ont réactivé leur arsenal antitrust, notamment à l’encontre des GAFA. L’Europe au contraire a toujours maintenu une politique vigoureuse. Pour une fois, elle a eu un temps d’avance sur les Américains. Il serait périlleux et paradoxal que l’Europe fasse le mouvement inverse aujourd’hui ; la politique de concurrence est certes perfectible mais elle a plutôt fait la preuve de son utilité.

Emmanuel Combe est économiste, professeur des Universités à Skema Business School et vice-président de l’Autorité de la concurrence. Il est aussi président de la Société d’économie politique. Il publie La concurrence aux Presses Universitaires de France (préface de Laurence Boone).

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