« Détecter les cartels : au delà des politiques de clémence » (Les Échos)

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Emmanuel Combe a publié, avec Mathias Pigeat, le 21 Novembre 2023 une tribune dans Les Échos sur l’avenir des politiques de clémence.

Détecter les cartels : au-delà des politiques de clémence 

Emmanuel Combe, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à Skema Business School

Mathias Pigeat, Directeur juridique de l’Autorité de la concurrence

A l’heure de l’inflation et du pouvoir d’achat, la lutte contre les cartels constitue un pilier central de la politique antitrust. Rappelons que ces pratiques consistent pour des entreprises concurrentes à s’entendre, généralement en secret, sur les prix ou la répartition des marchés au détriment de leurs clients, entreprises comme consommateurs. Particulièrement nocifs pour l’économie, les cartels sont sévèrement sanctionnés. Toutefois, leur détection reste un exercice difficile.

L’apparition des programmes de clémence à partir des années 2000 en Europe a constitué une réponse particulièrement efficace. Le principe en est simple : le premier participant au cartel qui révèle la pratique peut bénéficier d’une immunité totale de sanction. Les autres participants peuvent quant à eux espérer une réduction de sanction si leur coopération apporte une valeur ajoutée.

Si l’on prend le cas de la Commission Européenne, pas moins de 83 cartels ont été détectés grâce à la clémence entre 2001 et 2020, au point que cet instrument est devenu son principal outil de détection. De même, en France, la clémence a permis de détecter des cartels importants, comme ceux des lessives ou des produits d’hygiène et d’entretien.

Mais la clémence se trouve confrontée aujourd’hui à deux nouveaux défis : l’essor des actions en dommages et intérêts et la pénalisation de la vie des affaires. Tout d’abord, la transposition de la directive Dommages a facilité le droit à réparation des victimes d’un cartel. Les membres d’un cartel courent désormais un nouveau risque : l’indemnisation des victimes. Le demandeur de clémence va donc prendre en compte ce risque supplémentaire. Si le but recherché est de renforcer l’action publique par des actions privées, la crainte de ces dernières peut décourager les entreprises de demander la  clémence. Il en va de même pour le risque pénal : en l’absence de protection, le  demandeur de clémence risquerait de renoncer à dénoncer la pratique. Le paradoxe est alors que, si la clémence devient le seul outil utilisé par les autorités de concurrence, le demandeur peut être tenté d’attendre l’ouvertured’une éventuelle enquête avant de coopérer plutôt que de courir ces risques. Le renforcement du droit à réparation et du risque pénal peut alors conduire à diminuer la détection des cartels !

Pour prévenir un tel scénario, les pouvoirs publics disposent de différents leviers. Le premier consiste à étendre la portée de l’immunité : la première entreprise qui dénonce la pratique se verrait protégée du risque pénal ou d’actions en réparation. Des dispositions existent en France pour exempter, sous certaines conditions strictes, le premier demandeur de clémence de toute sanction pénale et garantir la confidentialité des documents de la clémence en cas d’action indemnitaire. Des réflexions existent en Europe, notamment en Allemagne, pour aller plus loin et prévoir une immunité également en cas d’action en réparation, tout en garantissant le droit à réparation des victimes. Un second levier consiste à renforcer les outils de détection des cartels, en dehors de la clémence. En France, l’Autorité de la concurrence peut s’appuyer sur ses propres services d’enquête et sur ceux de la DGCCRF. D’autres outils peuvent aussi être mobilisés : veille sur les marchés, analyse des appels d’offres publics au moyen d’algorithmes, mécanisme de lanceur d’alerte. Sur ce dernier point, l’Autorité de la concurrence vient de mettre en place sur son site un dispositif réservé aux personnes physiques : un salarié pourra signaler un cartel en passant par le mécanisme prévu par son entreprise, mais également en s’adressant directement à l’Autorité.

Au final, pour que la clémence continue de vivre, les autorités de concurrence doivent conserver une véritable dynamique d’investigation en propre. L’objectif est d’envoyer un signal clair et crédible à toutes les entreprises : le risque de détection des cartels par les pouvoirs publics est réel et la clémence reste donc un bon calcul économique

 

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